Il y a quelques jours encore, Michel Bühler participait au vernissage de l’exposition «Ici, le lac ressemble à la mer – Chansons pour le Léman», imaginée par Marc Aymon et le peintre Cyrille Chatelain. Un projet mêlant patrimoine, illustration et chanson, dans la droite ligne de «Glaneurs – Trésors éternels», auquel le chansonnier vaudois a également pris part. «Jeudi dernier, on était plein d’artistes à partager la scène, et lui avait cinquante ans de plus que certains d’entre nous. Pourtant, c’était lui le plus jeune», raconte Marc Aymon, la voix embrumée. «Il a chanté et c’était élégant, magique. Il a fini par un slam et on savait tous, public compris, que c’était le moment le plus fort de la soirée.»

Confrères de chansons plus qu’amis, Michel Bühler et Marc Aymon se sont croisés plus fréquemment ces dernières années au gré des projets patrimoniaux du chanteur valaisan. «Mais avec lui, les barrières tombaient très vite. On buvait un verre, on se racontait nos vies, on parlait évidemment politique. Quand il était venu à notre rencontre lors de la phase de travail de «Glaneurs» aux Arsenaux à Sion, il avait à cœur d’échanger, de raconter, de chanter. On se retrouvait face à un artiste qu’on écoutait enfants, et il était artisan, citoyen, humble et authentique.»

«Un homme vrai, humble et fidèle»

La nouvelle du décès de Michel Bühler a cueilli la Romandie à froid ce mardi 8 novembre, et affecté de nombreuses personnalités valaisannes ayant connu, côtoyé ou collaboré avec le chanteur au fil du temps. «Ç’a été un choc!», souffle depuis son village de Mase la journaliste Manuella Maury. La présidente du festival Lettres de Soie était proche de l’homme et de l’artiste, lui avait tendu le micro à de nombreuses reprises, dans l’émission «Le Passager», pour «Passe-moi les jumelles» aussi, émission où elle avait pu s’inviter dans l’intimité du couple «si vivant» qu’il formait avec son épouse Anne Crété. «Ils pouvaient chanter à deux toutes les chansons coquines des années vingt», se souvient-elle dans un éclat de rire qui couvre pudiquement l’émotion.

Il était comme ça, Bubu, généreux et fidèle.

Manuella Maury, journaliste

Michel Bühler était également venu à Mase en 2018 dans le cadre du festival Lettres de Soie et d’une rencontre épistolaire très touchante avec l’écrivaine Céline Zufferey. «Encore récemment, il est venu passer du temps dans le village. En partant, il a tenu à aller dire au revoir à ma maman. Il était comme ça, Bubu, généreux et fidèle.» Fidèle en amitié, au point d’écrire et de dédier un titre de son dernier album «Rouge» (2021), «Chanson pour Manuella», à Manuella Maury. Un titre de consolation, aussi tendre et doux que ses chansons engagées sont gorgées de saine colère.

«Une figure de la chanson romande»

«Je fais souvent des chansons sur un coup de rogne, de colère», expliquait-il à la RTS en 1982. Perpétuellement remonté contre l’injustice, fondamentalement ancré dans une sensibilité située très à gauche, Michel Bühler a parfois été moqué pour son versant râleur, et notamment imité par Yann Lambiel. Mais il ne lui en tenait pas rigueur. «On se rencontrait régulièrement et on avait toujours plaisir à se voir. On a chanté ensemble lors de différents spectacles. C’était vraiment une figure de la chanson romande et il faut se replonger dans son répertoire, ses quelque 300 chansons, car il recèle de vraies pépites.»

Il faut se replonger dans son répertoire, ses quelque 300 chansons, car il recèle de vraies pépites.

Yann Lambiel, humoriste

Des pépites, en effet, et la chanteuse Sylvie Bourban recommande «Chanter», titre du dernier album «Rouge», qui résonne fort aujourd’hui. «Arrivé au bout de mon âge / Dans un siècle déjà vieilli / Tout ce que j’ai dans mes bagages / C’est que du vent, ça me suffit», chante-t-il. «J’ai eu la joie de chanter les chœurs sur ce disque», explique-t-elle, convoquant le souvenir d’un homme «à l’ancienne, paternel, adorable». «Nous sommes allés chanter ensemble en Palestine. Il se trouve que je suis aussi allée chanter en Israël et nous avons eu des débats enflammés sur la politique, sur le rôle de l’artiste. J’ai adoré ces discussions.»

«Beauté et dignité»

Ces discussions, Michel Bühler les a aussi prolongées tard dans la nuit sédunoise, lors de ses concerts donnés au Festival Arcades, quand Boris Michel – programmateur d’alors, patron du Grand Café de la Grenette et autre sensibilité penchant bien à gauche – l’invitait. «C’était un bon gars, mais il fallait pas lui marcher sur les pieds», souligne-t-il en regrettant le vide laissé par le chansonnier. Un vide dans lequel on glissera ces lignes, que Michel Bühler laissa dans le livre de portraits «Artistes/CH» du photographe Claude Dussez: «Être artiste ici, c’est prendre des morceaux du gris quotidien pour en faire, si possible, des objets de beauté et de dignité.»

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