Après une longue attente, vous avez fini par annoncer, la semaine dernière, les mesures qui toucheront la population et les entreprises en cas de pénurie d’électricité. Pourquoi tout ce temps?

Tout d’abord, la pénurie n’est pas encore là: ces mesures n’entreront en vigueur que si la demande dépasse l’offre. Ensuite, cela prend du temps parce qu’un réseau d’électricité, ce n’est pas simple.

En Suisse, plus de 600 gestionnaires de réseaux sont concernés. Nous ne pouvons pas simplement dire: «Je coupe la Suisse orientale pendant quatre heures, puis la Suisse romande». Ou: «Je débranche une ville, mais pas ses hôpitaux». Si nous voulons préserver un hôpital, il faut fournir du courant à tout le quartier.

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Il y a aussi la température maximale pour la lessive ou l’interdiction du repassage. Comme pour le Covid, l’Etat semble s’introduire massivement dans la vie privée des habitants…

C’est une critique que je peux entendre. Mais les ménages, vous et moi, ainsi que les services, représentent environ 60% de la demande totale en électricité dans ce pays.

L’industrie représente, quant à elle, environ 30%. Le calcul est simple: si vous voulez avoir un effet rapidement, il faut que, d’une manière ou d’une autre, tout le monde participe. D’où des mesures qui touchent tout le monde et qui sont de plus en plus fortes selon la gravité de la situation.

On peut rire des restrictions, les critiquer, mais c’est uniquement de cette manière que l’on peut éviter des mesures beaucoup plus dures.

Guy Parmelin, conseiller fédéral

L’objectif reste toujours le même: repousser le plus loin possible la mise en place de contingentements pour les gros consommateurs, car cela provoquerait des dégâts bien plus grands pour la société, l’économie et la collectivité. Et je ne parle pas de délestages (réd: coupures tournantes d’électricité), qui feraient des ravages considérables sur le plan sociétal et psychologique.

Sur les restrictions elles-mêmes, naturellement, on peut en rire, critiquer, mais c’est uniquement de cette manière que l’on peut éviter des mesures beaucoup plus dures.

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Pourquoi ne faire aucune exception pour l’économie? Des entreprises proposaient pourtant d’être proactives…

Une branche économique ne peut pas simplement dire qu’elle économise 10% de son énergie et exiger ensuite d’être exemptée des mesures en cas de pénurie.

Du moment où on doit faire face à un déséquilibre entre l’offre et la demande, vous devez baisser la demande. Il n’y a pas d’autres solutions. Sinon c’est l’effondrement programmé du réseau. La marge de manœuvre pour des exceptions est donc extrêmement limitée.

Si un entrepreneur ne fait rien aujourd’hui en se disant que le Conseil fédéral mettra un jour sur pied un programme de crédits ou d’aide à fonds perdu, il commet une erreur monumentale.

Guy Parmelin, conseiller fédéral

Les entreprises voient déjà leur facture d’énergie exploser et elles risquent encore de se voir imposer des restrictions. Pourquoi ne pas leur proposer d’autres aides en plus du seul chômage partiel?

Des analyses ont été faites et le Conseil fédéral a été clair: il n’y a pas de nécessité d’intervenir pour l’instant. Oui, les prix de l’électricité et du gaz sont montés très fortement, mais on observe déjà un reflux. Quant à l’inflation, elle reste bien plus basse que celle observée chez nos voisins.

Par ailleurs, beaucoup d’entreprises ont profité pendant de longues périodes de prix très bas sur les marchés libres, et d’autres ont su négocier à temps des contrats encore acceptables.

Photo: Muriel Antille

Et le retour au marché protégé que certaines sociétés demandaient pour ne pas couler?

Le Conseil fédéral a analysé cette possibilité, notamment en imposant des conditions très strictes, mais nous y avons renoncé.

J’ai discuté avec des entrepreneurs. Nombre d’entre eux ont fait leur part du travail en réservant de l’électricité pour les prochaines années. Ils ne comprennent pas pourquoi ils devraient alors payer pour ceux qui n’ont pas pris leurs dispositions.

Si cela dégénère, êtes-vous prêt à assumer des faillites et des pertes d’emploi?

Nous n’en sommes pas du tout là aujourd’hui. Et le Conseil fédéral a été extrêmement clair depuis le début: tous ces éléments font partie des risques entrepreneuriaux qu’une société doit assumer. Mais le Conseil fédéral suit la situation de près. Si l’évolution devenait complètement incontrôlable, nous pourrions prendre certaines mesures.

Mais si un entrepreneur ne fait rien aujourd’hui en se disant que le Conseil fédéral mettra un jour sur pied un programme de crédits ou d’aide à fonds perdu, il commet une erreur monumentale.

Même si on aime que tout soit noir ou blanc, les choses sont souvent plus nuancées.

Guy Parmelin, conseiller fédéral

Certains chiffres montrent que la campagne d’encouragement aux économies d’énergie a des effets, d’autres disent le contraire. Qu’en est-il?

Il faut rester prudent, mais il y a apparemment des effets concrets, notamment dans le domaine du gaz. La hausse du prix joue évidemment aussi un rôle.

Dès la mi-décembre en principe, un monitoring sera mis en place, avec un tableau de bord, qui permettra de mieux suivre cette évolution. Il est difficile de demander une réduction de consommation aux citoyens et aux entreprises sans savoir ce que l’on consomme.

Après des discours alarmistes, vous êtes aujourd’hui plutôt rassurant sur le risque de pénurie d’énergie. On s’y perd: où est la vérité?

Eh oui, même si on aime que tout soit noir ou blanc, les choses sont souvent plus nuancées. La situation était effectivement plus tendue cet été, notamment en raison de difficultés logistiques sur le Rhin dues à la sécheresse. Ça nous avait donné quelques sueurs froides. Mais les conditions se sont améliorées depuis, et les températures douces que nous connaissons actuellement sont vraiment une bonne chose.

On peut dire qu’on entre dans l’hiver plutôt favorablement, mais rien n’est exclu: les pires scénarios parlent de cinq à six jours de pénurie à la fin de l’hiver. Aujourd’hui, le contexte est favorable, mais je fais preuve d’un optimisme modéré. Je suis sûr que tout le monde est capable de voir que la situation est différenciée.

Photo: Muriel Antille

Les hivers suivants vous effraient davantage?

L’hiver 2023-2024 surtout. Sans gaz russe, les spécialistes nous préviennent qu’il sera plus difficile de remplir les stocks comme nous avons pu le faire pour cet hiver. De nombreuses inconnues demeurent.

Pour la suite, nous devons vraiment nous préparer. Il faut produire plus d’électricité chez nous. Etre plus efficaces, efficients et faire des économies partout où c’est possible. Si nous ne faisons rien, nous aurons de gros problèmes.

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L’approbation par le peuple en 2017 de la stratégie énergétique 2050 en 2017 était-elle une erreur? Vous aviez vous-même voté contre au Parlement…

Il faut respecter le verdict des urnes. On ne refait pas l’histoire. L’an dernier, j’ai attiré l’attention sur les risques de pénurie et on s’est un peu moqué de moi. La réalité nous a rattrapés et ce qui importe aujourd’hui, c’est d’assurer et de sécuriser l’approvisionnement pour les prochains hivers.

Nous sommes un peu tous responsables d’avoir sous-estimé l’importance de la production nationale d’électricité.

Guy Parmelin, conseiller fédéral

Est-ce bien raisonnable de s’appuyer sur l’UE pour notre approvisionnement énergétique alors que nous n’en sommes pas membre?

Encore une fois, nous ne pouvons pas refaire l’histoire. Dans le cadre de sa stratégie énergétique, le Conseil fédéral met précisément l’accent sur la production interne, en particulier sur les énergies renouvelables. Mais cela n’a pas été assez rapide et suffisant pour les développer.

Nous sommes en effet passés d’exportateur d’électricité pratiquement toute l’année, à importateur en hiver, en nous reposant sur nos voisins. C’était facile et bon marché.

Maintenant, le réveil est brutal et douloureux. Oui, il y a trop de dépendance aux énergies importées. Je crois que nous sommes un peu tous responsables d’avoir sous-estimé l’importance de la production nationale d’électricité. L’Europe s’est, de son côté, trop appuyée sur le gaz russe pour son courant.

La fin des discussions institutionnelles avec l’Union européenne (UE) empêche un accord sur l’électricité qui nous aiderait à faire face…

C’est clair que d’avoir un accord avec l’UE sur l’électricité faciliterait les choses. Mais ça ne résoudrait pas le problème fondamental: produire davantage d’électricité en Suisse.

La sortie du nucléaire est-elle un mauvais calcul?

C’est de notoriété publique que je m’étais élevé contre la sortie du nucléaire lorsque j’étais parlementaire. Mais à présent, on doit chercher des solutions et nous y travaillons.

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Photo: Muriel Antille

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