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Magazine "Votre hiver": «Ton DVA ne te rendra jamais immortel!»

L’hiver est bientôt là et son lot d’avalanches mortelles malheureusement aussi. Armé de son expertise et de son franc-parler, le guide Werner Munter nous explique comment ne pas venir grossir les statistiques.

28 nov. 2018, 08:02
Le célèbre guide Werner Munter nous a reçus à Arolla pour nous parler du «plus grand challenge» de sa vie: les avalanches et leur compréhension.

Werner Munter est une légende vivante. Cet ours bernois de 77 ans, improbable croisement entre le père Noël et le mage Gandalf, réside une grande partie de l’année sur les hauteurs d’Arolla. Il est reconnu comme l’un des plus grands spécialistes mondiaux des avalanches. Il faut dire que ce guide de montagne, philosophe de formation, assez soixante-huitard de convictions et un brin misanthrope, a passé 50 années de sa vie à les étudier en «autodidacte obsessionnel» sur le terrain puis attablé devant ses petits carnets noirs dans sa résidence principale de Vernamiège.

Sa méthode de prévention 3x3 ou «méthode de réduction» du risque est aujourd’hui encore enseignée dans nombre de cours avalanche et même les aspirants guides y ont droit. Le livre qu’il en a tiré s’est écoulé à plus de 50 000 exemplaires, un score astronomique pour un ouvrage si spécialisé.

Cette méthode a sans nul doute grandement contribué à réduire le nombre de morts par avalanche au fil des ans même si donner une estimation précise dans ce domaine relève évidemment de l’impossible. Werner Munter a longtemps dispensé son savoir au sein du prestigieux Institut fédéral pour l’étude de la neige et des avalanches de Davos (SLF). En 2014, il a même été l’un des quatre héros du joli documentaire «Montagnes en tête».

Depuis quelques années, ce septuagénaire, volontiers provocateur, planche sur le réchauffement climatique. D’après lui, «tout ça n’a rien à voir avec le CO2 et la thèse officielle est une foutaise». Mais revenons-en aux avalanches, un domaine où ses thèses ont fini par être unanimement reconnues. Interview.

Pourquoi avoir passé tant d’années à sonder les mystères des avalanches?

J’ai été le premier à me poser la question taboue: quand et où faut-il renoncer à sa course en montagne? Mais je mentirais si je disais que mon but était alors de sauver des vies. Ce qui m’a plu, c’est que cela semblait être un problème sans solution. Dès lors, il s’est emparé de moi par curiosité intellectuelle. Pendant vingt ans, ma femme Margrit, aujourd’hui disparue, a financé mes recherches sur son seul salaire d’institutrice. Je me suis penché sérieusement sur les avalanches en 1965 et mon premier livre n’est paru que trente ans plus tard. Avant cela, mes études ne me rapportaient pas un centime.

Qu’avez-vous appris en étudiant les avalanches si longtemps de manière quasiment monomaniaque?

J’ai compris que je n’ai toujours rien compris. Ces dernières années, j’ai un peu laissé les avalanches de côté pour me concentrer sur les véritables causes du réchauffement climatique mais la neige me fascine toujours autant. C’est un élément tellement complexe, ni vraiment liquide ni vraiment solide, unique en son genre. Il n’existe pas deux flocons identiques!

Votre méthode de réduction du risque «fonctionne» pourtant bel et bien…

Cette méthode est basée sur des centaines d’accidents. Je les ai épluchés et j’en ai tiré diverses règles en rapport avec son itinéraire, la topographie, la météo ou encore le bulletin avalanche. En les suivant scrupuleusement, on sait s’il faut aller skier dans telle pente ou non selon les conditions du moment et on peut ainsi espérer vieillir en montagne... Si tout le monde suivait ces règles à la lettre, même sans en comprendre le pourquoi, on déplorerait une victime toutes les 100 000 courses. C’est statistique! Par danger 3, il faut par exemple impérativement renoncer aux pentes de plus de 40 degrés. Cette seule règle permettrait d’éviter un tiers des accidents. Même chose pour les fameux «voom», correspondant au bruit d’une couche de neige s’écroulant sur celle du dessous. Là, aucun doute à avoir, la nature te donne un avertissement que beaucoup ressentent même physiquement par des frissons dans le dos: tu fais demi-tour! Le degré de danger 3 est présent 33% du temps et permet de sortir des pistes, mais uniquement en choisissant très bien son itinéraire sur la base de connaissances solides. Le risque 4, ne se rencontre que 3% du temps mais ne permet plus d’évaluer le danger correctement. Dans ces conditions, tu restes chez toi!

Vous êtes aussi critique sur les formations avalanche. Pourquoi?

Trop de ces formations mettent l’accent sur le sauvetage car c’est plus simple, plus ludique et que cela permet de vendre des DVA et des sac airbag. Mais il faudrait au contraire insister sur la prévention. Un gramme de prévention épargne plus de vies qu’un kilo de sauvetage. La montagne est devenue un terrain de jeu. En fin de saison, j’observe beaucoup de gens partir en randonnée à midi. Cela dénote une méconnaissance crasse des dangers de la montagne. 

Selon vous, l’accent serait tellement mis sur le matériel de sauvetage que cela en deviendrait dangereux. Pourquoi?

Beaucoup de skieurs semblent penser que leurs équipements les rendent invincibles. Ils ignorent par exemple que l’hiver passé, un quart des personnes déterrées rapidement de sous une coulée sont décédées de blessures. Ton DVA ne te rendra jamais immortel. Selon moi, il faudrait prendre ses décisions comme si on n’avait pas cet outil sur soi. Lors d’un récent cours de guide, le formateur avait demandé à ses aspirants d’écrire sur un papier s’ils se lanceraient oui ou non dans l’appétissante pente poudreuse qui s’étalait sous leurs pieds. Tous avaient dit oui. Ensuite, le formateur leur avait demandé de lui donner leur DVA et de se lancer. Aucun n’avait oser le faire… Cela en dit long sur le fait que l’appel de la poudreuse et les équipements de sécurité rendent aveugles, imprudents et faussent la prise de décision!

 

Cet article peut être consulté dans notre magazine «Votre Hiver» en cliquant sur sa couverture ci-dessous.

 

 

Son conseil aux skieurs hors-piste
J’aimerai leur rappeler et notamment à ces freeriders qui se lancent fièrement des «tu as déjà tiré aujourd’hui?», en référence à leur airbag, que renoncer n’est pas un mot tabou. Et aussi qu’en montagne, la mort est là ainsi qu’une dimension métaphysique cachée derrière la surface des choses et derrière le silence absolu. Dans ce contexte, se comparer avec les autres, comme y pousse une approche purement sportive est vain. Dès le moment où tu fais ça, tu es déjà passé à côté de l’essentiel de ce que peut t’amener la montagne. Et si tu persistes à ignorer ses règles, elle te sanctionnera. C’est logique et relève même de la sélection naturelle!
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