On le surnomme le Vieux-Pays. Ce Valais conservateur, longtemps réfractaire à la modernité, fermé à la nouveauté. On aime raconter qu’il est resté coincé dans le Moyen-Age, qu’il est peuplé de rustres personnages. Vestiges d’une révolution industrielle tardive, ces clichés s’éloignent aujourd’hui de la réalité. Mais pourquoi l’innovation a-t-elle si longtemps tardé à s’imposer dans notre canton? «Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le Valais ne forme que des prêtres, des avocats-notaires, des médecins et autres professions libérales», répond Jean-Henry Papilloud, président de la Société d’histoire du Valais romand. Dans la tête des autorités politiques conservatrices et de l’Evêque, seuls les cursus classiques font sens. Mais tout change au tournant du XXe siècle. Avec l’utilisation de la force hydraulique et l’établissement de grandes industries, le Valais fait sa mue. C’est la révolution.

«En 1888, le Département de l’instruction publique doit admettre que les progrès des sciences naturelles et, avec elles, ceux de la technique ont opéré une révolution dans le système d’instruction», poursuit l’historien. On se rend compte que les cadres des nouvelles industries sont des étrangers au canton. C’est un manque qu’il faut pallier. L’entrée dans le nouveau siècle se présente dès lors aux Valaisannes et aux Valaisans comme l’ouverture du champ des possibles. Les collèges proposent davantage de choix en ouvrant des sections scientifiques et les premières écoles de commerce pour les filles voient le jour. Les apprentissages sont également mis en place. Le Valais rattrape son retard jusqu’à devenir, un siècle plus tard, un terreau fertile à l’innovation, recherché et apprécié des start-up.

Comme l’exception confirme la règle, «Le Nouvelliste» vous prouve aujourd’hui que malgré son désamour pour le changement, le Valais fut le berceau de plusieurs inventions révolutionnaires. De la raclette au lait de poudre, en passant par le goudron et le moteur à explosion, découverte de ces innovations qui ont changé le monde et dont on ignore bien souvent qu’on les doit à des Valaisans.

1. La raclette

Raclette à la Sage, val d’Hérens, 1937 © Raymond Schmid, bourgeoisie de Sion, Médiathèque Valais – Martigny

C’est le plat phare de notre canton. La carte de visite du Valais. Les dimanches en famille. Bien que la toute première mention du plat ait été retrouvée dans des écrits du XIIe siècle du côté d’Unterwald, il ne fait nul doute que la raclette existait aussi en Valais à ce moment-là. Car ce qu’on nommait à l’origine «fromage rôti» est un plat typiquement montagnard. «Quelques bergers prennent place autour du feu. Ils surveillent la pièce de fromage qu’ils ont posée devant le foyer. Le fromage commence à fondre. L’un d’entre eux s’empare d’un couteau. Il coupe une tranche de fromage rôti et l’étale sur une tranche de pain», raconte d’ailleurs Victor Tissot dans «La Suisse inconnue», ouvrage paru en 1888. Ce n’est toutefois qu’au XXe siècle que la raclette quitte les vallées pour rejoindre la plaine. Une démocratisation que l’on doit aux Valaisans, puisque ces derniers en servent 300 000 au cours de l’Exposition nationale de Lausanne en 1964. La raclette fait du même temps son entrée dans les cuisines, grâce aux fours à raclette, notamment inventé par Valentin David de Chalais, reproduit en 50 000 exemplaires et vendus jusqu’en Chine.

2. Le moteur à explosion

Portrait d’Isaac de Rivaz © Anonyme, Médiathèque Valais – Martigny

«Je suis décidé imperturbablement à aller jusqu’à la fin. Il est inutile de me faire voir des difficultés ou plutôt de me faire entrevoir celles que j’ai déjà.» Isaac de Rivaz a eu raison de s’obstiner, «nuit et jour», raconte Henri Michelet dans la biographie qu’il consacre à l’inventeur, qui fut également conseiller d’Etat et délégué à la Diète fédérale. Malgré les réticences de sa famille et malgré l’incendie de Sion de 1788 qui abîme des années de recherches, Isaac de Rivaz avait la conviction qu’il était possible d’utiliser l’explosion comme force motrice. Et il avait raison. En 1804, le Valaisan, né à Paris en 1752 et fils d’un inventeur, crée le premier moteur à explosion, l’ancêtre du moteur à combustion qui fait depuis rouler nos voitures. La première fois qu’il tente l’expérience, Isaac de Rivaz est caché derrière une porte de buffet. L’explosion est telle que le piston du moteur jaillit contre le mur et écaille le plâtre. Mais la machine a bougé. Le moteur a explosion a donc fonctionné. Le brevet est déposé et il sera accepté en 1807. Mais il est encore trop tôt dans l’histoire de l’automobile pour réaliser l’importance de la trouvaille.

3. Le goudron

Son nom ne vous dit probablement pas grand-chose. Ernest Guglielminetti naît le 23 novembre 1862 à Brigue, devient médecin et exerce à Java, Sumatra ou Bornéo. En mars 1902, le Valaisan est à Monaco pour y donner une conférence sur le mal des montagnes. Dans l’assemblée, l’oreille attentive du Prince Albert 1er. Au cours du banquet qui suit l’exposé, les deux hommes parlent automobiles. Si le Prince se réjouit du développement de ces véhicules, il regrette les nuages de poussière que ces dernières soulèvent sur leur passage et s’inquiète de l’impact que ceux-ci pourraient avoir sur la santé des passants. De son passé en Indonésie, Ernest Guglielminetti se souvient des sols arrosés de pétrole. Le Prince est emballé, et demande au Valaisan de perfectionner son idée. Quelques jours plus tard, ce dernier recouvre quarante mètres de sol de goudron chaud, sous les moqueries des badauds. Mais une fois sec, c’est la stupéfaction. Pas de poussière. Pas de bruit. Le procédé s’exporte à travers le monde, sans rapporter un sou au médecin valaisan qui ne brevète pas son idée. A défaut de la richesse, la reconnaissance. Le titre honorifique de Docteur Goudron, des distinctions de 37 pays, la bourgeoisie d’honneur de Brigue et l’attribution d’une plaque commémorative à Monaco, boulevard Albert-1er. Le Brigois décède à Genève en 1943, laissant le soin aux autres de perfectionner les techniques d’asphaltage.

4. Le lait en poudre

Maurice Guigoz naît à Champsec le 3 juillet 1868. Fils d’agriculteur, il est prédestiné à suivre les traces de son père jusqu’à ce que son oncle l’envoie suivre un apprentissage d’horloger dans le Gros-de-Vaud. Il revient exercer son métier dans le val de Bagnes mais, comme le dit «La Feuille du Valais» du 16 août 1960: «Quel besoin avait-on de montres dans un pays où le soleil indique fidèlement les heures?» Maurice Guigoz crée une fabrique d’horloge à Monthey, épouse Marie Morend du Châble, s’investit dans l’hôtellerie, ouvre un magasin de machines à coudre et de bicyclettes à Montreux. Tout s’accélère en 1908. Maurice Guigoz a 40 ans lorsqu’il reprend une fabrique de lait en poudre à Châtel-Saint-Denis. Il améliore le procédé et s’installe en Gruyère. Après la farine lactée d’Henri Nestlé, Maurice Guigoz invente le lait en poudre en chauffant le lait sous vide et à basse température. D’abord employé dans le traitement de la gastro-entérite, le lait Guigoz est dès 1921 utilisé en diététique infantile. Son succès est immédiat et mondial. Maurice Guigoz, décédé deux ans plus tôt, restera celui qui révolutionna l’alimentation artificielle infantile et le fondateur d’une entreprise qui existe encore aujourd’hui.

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