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Coronavirus: "Puiser aux racines, avant demain". Par Delphine Debons

«Le Nouvelliste» inaugure un nouveau rendez-vous hebdomadaire. Une douzaine de personnalités issues de générations, de milieux socio-professionnels différents livrent leurs pensées sur l’impact social de l’expérience collective que nous vivons tous, et sur le temps d’après, quand la vie reprendra, sans doute différemment d’avant.

21 avr. 2020, 08:00
Delphine Debons, histoirienne.

Vous voyez cette photo de montée aux mayens? Mais oui, cette photo où des mulets, les sacoches chargées de provisions, emmènent des femmes et des enfants. Non? Pourtant, j’ai l’impression qu’elle fait partie de l’imaginaire collectif des gens de notre canton. Recadrée, elle illustre le livre «Le mulet valaisan». 

Elle trône également dans l’appartement de mes grands-parents. Accrochée à la queue d’un des mulets: une petite fille. Ma grand-maman. Je n’y prêtais plus attention depuis bien longtemps quand elle s’est rappelée à moi.

C’était il y a quelques mois. On me demandait d’écrire des textes pour le site notrehistoire.ch. L’idée: choisir des photos qui m’interpellent et y porter un regard d’historienne. Quelle ne fut pas ma surprise quand je suis tombée sur cette image. Une occasion en or, me suis-je dit. Je vais pouvoir donner la parole à grand-maman, lui faire raconter ses souvenirs à travers cette chronique. 92 ans qu’elle a! «Sans doute le dernier moment» ai-je encore pensé.

Et j’ai retardé ce dernier moment avec des «j’y vais demain». Les demains se sont succédés. Tranquillement, les uns après les autres. Toujours mieux à faire. Jamais le bon moment. Et puis, le nouveau mot d’ordre: «Restez à la maison», «Evitez autant que possible les contacts avec les plus de 65 ans». Ce n’est pas grave, j’irai après… 

 

Laisser la parole des Anciens se taire, c’est perdre le lien à notre passé, à nos racines. C’est oublier qu’elles nourrissent nos nouvelles pousses.
Delphine Debons, historienne

 

Des lendemains, il n’y en aura plus pour ma grand-maman. Elle s’en est allée durant ce temps de confinement. Ses souvenirs pour elle. Moi, mes regrets.

Qui mieux qu’une historienne devrait savoir qu’on ne retarde pas ce moment du recueil. Qu’il n’aura peut-être plus lieu. Qu’il est impérieux. Que laisser la parole des Anciens se taire, c’est perdre le lien à notre passé, à nos racines. C’est oublier qu’elles nourrissent nos nouvelles pousses.

En cette période de crise du covid-19, les relations intergénérationnelles sont chamboulées, repensées. Ces temps nous éloignent et nous rapprochent, c’est selon. Peut-être nous permettront-t-il de réfléchir à la place que nous donnons aux aînés, aux seniors, comme nous les appelons pudiquement. En tant que collectivité, et à titre individuel.

Des actions sont mises en place: nous faisons les courses pour ne pas qu’ils sortent; nous leur écrivons, nous leur parlons pour qu’ils ne se sentent pas trop seuls. Mais les écoute-t-on? Leur donne-t-on la parole? Pense-t-on qu’ils ont quelque chose à nous apporter durant cette crise, pour l’après-crise… de manière générale? Boris Cyrulnik disait sur France Inter que ce confinement nous ramènerait à des «valeurs de nos grands-parents». Pour se les approprier, les revisiter, encore faut-il les connaître, réellement. 

Les demains passent et, avec eux, les gens qu’on aime, les moments que l’on aurait pu partager, les souvenirs qui nous auraient enrichis, les leçons de vie à tirer. Tous ces dons inestimables que nos anciens peuvent nous transmettre. Encore faudra-t-il s’en souvenir…

Delphine Debons, historienne, Savièse

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