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Coronavirus: "Pas normal"

Une douzaine de personnalités issues de générations, de milieux socio-professionnels différents livrent pour "Le Nouvelliste" leurs pensées sur l’impact social de l’expérience collective que nous vivons tous, et sur le temps d’après, quand la vie reprendra, sans doute différemment d’avant.

01 mai 2020, 17:30
/ Màj. le 02 mai 2020 à 12:00
Marie-Antoinette Gorret, artiste, charrat.

La normalité c’est la loi de la majorité, dans un poulailler de 100 poules vous en avez 51 grandes et 49 petites c’est normal d’être grande. Mais si sur les 100 poules 51 sont bleues et les autres brunes parce qu’on les préfère ou blanches joliment tachetées ou noires au plumet de charme? La majorité ne suffit plus à rendre le poulailler normal. Voilà où j’en suis avec le coronavirus, pour moi ce n’est pas normal, ça ne correspond à rien.

Alors je m’imagine à 89 ans au home, par la force des choses mes enfants sont des vieux et moi j’attends «Questions pour un champion» en mordant à plein dentier dans un petit beurre tout mou, ma carte Exit délicatement posé sur la table de nuit. Confinée depuis que je suis entrée dans cet établissement (mais officiellement depuis six semaines) écroulée devant la télé (j’aime bien, ça me rappelle ma jeunesse), je regarde le téléjournal. Les nouvelles, ces pilules du docteur Darius que je prends chaque jour à haute dose, me rendent encore plus vulnérable. La famine, les violences domestiques, la pauvreté, l’économie à la dérive et peut-être la Foire du Valais à l’eau.

 

La vie est une denrée périssable on peut la prolonger en la mettant au frigo mais pas la sauver, ce que l’on peut encore peut-être sauver ce sont des paysages une variété de plante une espèce d’animal ou pourquoi pas la planète. 
Marie-Antoinette Gorret, artiste, charrat.

 

Un désastre. Tout ça pour que je puisse traîner mes pantoufles un peu plus lentement vers le cimetière. Je sens que je dois m’excuser d’être là. Vous êtes tous pris en otages a cause de moi. Et pourtant je pouvais rester en confinement sans ça. 

La vie est une denrée périssable on peut la prolonger en la mettant au frigo mais pas la sauver, ce que l’on peut encore peut-être sauver ce sont des paysages une variété de plante une espèce d’animal ou pourquoi pas la planète. 

Alors je me dis ce n’est  pas normal, à quel moment les poules sont devenues bleues?  Je me sens enfermée comme une bague de fiançailles dans sa petite boîte rouge, voilà pour toi c’est confiné jusqu’à ce que la mort nous sépare. J’aurais voulu que mon confinement soit un choix. Pourquoi ne m’a-t-on rien demandé? Pourquoi on continue de me traiter comme une impotente en me tenant en dehors des discussions? On me couvre de lettres plus mièvres les unes que les autres, je suis vieille mais pas débile, arrêtez de me parler comme à un poisson rouge. 

Vous vous sacrifiez pour que je reste en vie, les conséquences sont catastrophiques et vous trouvez ça normal? Vous parlez de la sagesse des anciens mais sans aucune écoute, sans que la parole me soit donnée, sans penser un seul instant que je pouvais être responsable. 

Je ne veux pas vivre dans un monde ou l’on m’interdit de prendre un enfant par la main. C’est à moi de le décider.
Ça me rend triste. L’ordre des choses ne fait plus partie de l’humanité. 

Je ne sais pas si c’est normal mais qu’est-ce qui est normal?

Je suis devenue une poule bleue.

 

Marie-Antoinette Gorret, artiste, charrat

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