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Coronavirus: "Journal infirme". Par Philippe Battaglia

Une douzaine de personnalités issues de générations, de milieux socio-professionnels différents livrent pour "Le Nouvelliste" leurs pensées sur l’impact social de l’expérience collective que nous vivons, et sur le temps d’après, quand la vie reprendra, sans doute différemment d’avant.

16 mai 2020, 12:00
Philippe Battaglia, écrivain, chroniqueur radio, Monthey

J’aurais aimé écrire un journal de confinement.  

J’y aurais dénoncé les abus de notre société, la manière dont un virus, un organisme si petit qu’il est invisible sans un microscope, est capable de mettre à nu les inégalités de notre société. J’aurais pris parti, ça oui, des plus affectés, de ceux qui se retrouvent enfermés dans des logements de quelques dizaines de mètres carrés avec femme et enfants, de ceux qui ne peuvent plus se rendre au travail et pour qui le revenu n’est qu’une incertitude de plus dans le chaos ambiant.

J’aurais pointé du doigt un système pourri dans lequel, après seulement un mois sans salaire, certains et certaines se retrouvent dans la plus anxiogène des précarités. J’y aurais joué la carte anarchiste en fustigeant nos politiques qui, une fois de plus, sont à côté de la plaque et qui, selon la formule dorénavant consacrée, sacrifient notre humanité au profit de l’économie. Seulement voilà, mes ressources en grandeur d’âme sont limitées.

 

«J’aurais pointé du doigt un système pourri dans lequel, après seulement un mois sans salaire, certains et certaines se retrouvent dans la plus anxiogène des précarités.»
Philippe Battaglia, écrivain, chroniqueur radio, Monthey

 

Ou alors j’aurais fait un truc profond. Quelque chose qui nous permettrait à tous de nous remettre en question, de réfléchir sur ce qu’est notre vie et sur ce que nous sommes face à l’immensité de l’univers. J’y aurai parlé du cosmos, de notre individualité face à l’universalisme de nos énergies conjuguées. J’aurais probablement mentionné Dieu, ou du moins mon interprétation de la chose, de la pensée qui élève, de celle qui nous rapprocherait parce que le moment est propice à toutes ces réflexions. Nous aurions certainement, tous ensemble, trouvé des solutions basées sur nos valeurs communes et non sur nos besoins égoïstes. Nous aurions pu… Nous aurions dû… Oui, peut-être, mais moi, au spirituel, je préfère les spiritueux.

La vérité, c’est que moi, mon confinement, je le vis plutôt bien. J’ai la chance d’être astreint à domicile avec mon épouse, une femme au demeurant fort sympathique. J’ai la chance d’être coincé dans un appartement confortable avec un balcon pour profiter quand même du soleil ou y prendre l’apéro. J’ai la chance de subir une pandémie dans un pays où les soins sont de qualité et accessibles à tous et où les ressources premières, du moins à l’heure où j’écris ces lignes, ne manquent pas. La nourriture, l’eau, l’électricité sont bel est bien là, je passe le plus clair de mon temps sur mon canapé à regarder des films ou des séries en streaming, à bouquiner et à écouter de la musique.

Et je sais que la plupart des râleurs que je vois défiler dans mes fils d’actualité sociaux sont dans la même situation que moi. 
Alors toi, là, qui aimes à répéter que nous vivons une situation de guerre et qui nous gratifies quotidiennement de tes craintes exagérées et de tes inutiles états d’âme, je ne saurai que te recommander de relire de vrais journaux de guerre, comme celui d’Anne Franck, par exemple, une femme qui a connu l’enfer d’être persécutée par le régime nazi, la douleur d’une enfant qui voit son journal intime lu par tout le monde et la frustration d’une auteure qui ne touchera jamais de royalties sur son best-seller.

Philippe Battaglia, écrivain, chroniqueur radio, Monthey

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