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Coronavirus: "Des câlins d'amour"

Une douzaine de personnalités issues de générations, de milieux socio-professionnels différents livrent pour "Le Nouvelliste" leurs pensées sur l’impact social de l’expérience collective que nous vivons tous, et sur le temps d’après, quand la vie reprendra, sans doute différemment d’avant.

01 mai 2020, 17:10
/ Màj. le 02 mai 2020 à 08:00
Delphine Debons, historienne, savièse

Elia, 7 ans et Clément, 5 ans. Ces deux petites têtes blondes courent vers moi, un grand sourire aux lèvres: «Hey TATA!». Je les regarde arriver, prête à les accueillir dans mes bras, à les serrer fort, avec une tendresse infinie, en goûtant ce moment comme je ne l’ai sans doute jamais fait. 

A deux mètres, arrêt net. 

Figés, comme quand on joue à «Un, deux, trois. Soleil». Vous savez, ce jeu dans lequel, quand celui qui dit cette phrase se retourne, tout le monde doit «faire la statue». Sauf que devenir une pierre immobile, lorsque l’on joue, nous oblige à retenir un sourire. En temps de confinement, cela déclenche un rictus de dépit, de tristesse ou d’agacement, c’est selon. Ce jour-là, mes neveux ont choisi le smiley qui lève les yeux au ciel et moi, même si mon cœur s’est serré, j’ai fait mine que c’était normal, et pas si grave. 

 

Six semaines plus tard, tout a bien changé. On se fatigue de cette distance à garder, les bisous nous manquent.
Delphine Debons, historienne, savièse

 

Et soudain, une nouvelle lueur malicieuse dans leurs yeux. Un petit sourire, comme un clin d’œil. Ils venaient d’observer le sol sous leurs pieds. Une pelouse pas encore tondue. Quelle chance! Parsemée de pissenlits déjà transformés en de jolies boules de graines. Aussitôt, chacun en ramasse une série et se met à souffler dessus en ma direction. «C’est plein de bisous et d’amour pour toi, Tata!» Le pissenlit a bien des propriétés, mais en voilà une que je ne connaissais pas: recréer un lien affectif, mettre du baume au cœur, remplacer – un tant soit peu – les «câlins d’amour», comme on aime les appeler entre nous. 

Cet épisode-là, survenu la semaine dernière, m’a marquée. Je me souviens que le week-end de l’annonce du semi-confinement, nous nous étions vus dans un pré, pour un pique-nique. Ce jour-là, savoir se tenir à l’écart les uns des autres était vraiment un jeu. «Là, je suis assez loin?» – «Aaaaahhhh non. Trop proche! File!» – «Et là?» – «Oui, là, tu as gagné! Bravo!» – «Et moi, et moi? Suis trop proche, là?» Leur petite sœur, Alice, se joint à nous gaiement. Et chacun de s’amuser de cette nouvelle petite complicité entre nous.

Six semaines plus tard, tout a bien changé. On se fatigue de cette distance à garder, les bisous nous manquent. Se souvenir de certains moments d’affection devient presque une madeleine de Proust. 

Alors, je m’en vais aller cueillir des pissenlits. Je fermerai les yeux un instant, en pensant à tous ces moments qui font le sel de la vie. Du bout des lèvres, délicatement, je soufflerai à mon tour sur ces légers pétales ouatés. Et en regardant le vent les emporter vers d’autres horizons, je ferai le vœu qu’une fois ce temps d’éloignement passé, je vive chacun de ces moments d’affection comme s’il était unique, le plus précieux de ma vie.

 

Delphine Debons, historienne, savièse

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