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Coronavirus: "chercher l'écho (2)". Par Céline Zufferey

Une douzaine de personnalités issues de générations, de milieux socio-professionnels différents livrent pour "Le Nouvelliste" leurs pensées sur l’impact social de l’expérience collective que nous vivons, et sur le temps d’après, quand la vie reprendra, sans doute différemment d’avant.

08 mai 2020, 20:00
Céline Zufferey, écrivaine, Lyon.

«La peste», Camus. Le Paris est une fête du confinement. Comme on a matraqué Hemingway après les attentats du Bataclan, on répète Camus depuis février 2020. J’avoue avoir été agacée. Mais, dans le hall de mon immeuble, à côté de l’ascenseur, des livres et un post-it «Servez-vous». Des poches, beaucoup de polars, et «La peste», édition 1971, odeur de vieux livre.

Dans le roman de Camus, ce n’est pas la moitié de la population qui est confinée, mais une ville, Oran, dont on ferme les portes. Parmi les nombreux passages qui auraient pu être cités, j’ai privilégié la fin.

«Ah! Si c’était un tremblement de terre! Une bonne secousse et on n’en parle plus… On compte les morts, les vivants, et le tour est joué. Mais cette cochonnerie de maladie! Même ceux qui ne l’ont pas la portent dans leur cœur.» Page 93.

 

Comme on a matraqué Hemingway après les attentats du Bataclan, on répète Camus depuis février 2020.
Céline Zufferey, écrivaine

 

«Peu à peu, il se fondait dans ce grand corps hurlant dont il comprenait de mieux en mieux le cri qui, pour une part au moins, était son cri. Oui, tous avaient souffert ensemble, autant dans leur chair que dans leur âme, d’une vacance difficile, d’un exil sans remède et d’une soif jamais contentée. Parmi ces amoncellements de morts, les timbres des ambulances, les avertissements de ce qu’il est convenu d’appeler le destin, le piétinement obstiné de la peur et la terrible révolte de leur cœur, une grande rumeur n’avait cessé de courir et d’alerter ces êtres épouvantés, leur disant qu’il fallait retrouver leur vraie patrie. Pour eux tous, la vraie patrie se trouvait au-delà des murs de cette ville étouffée. Elle était dans ces broussailles odorantes sur les collines, dans la mer, les pays libres et le poids de l’amour. Et c’était vers elle, c’était vers le bonheur, qu’ils voulaient revenir, se détournant du reste avec dégoût.

Quant au sens que pouvaient avoir cet exil et ce désir de réunion, Rieux n’en savait rien. Marchant toujours, pressé de toutes parts, interpellé, il arrivait peu à peu dans des rues moins encombrées et pensait qu’il n’est pas important que ces choses aient un sens ou non, mais qu’il faut voir seulement ce qui est répondu à l’espoir des hommes.

Lui savait désormais ce qui était répondu et il l’apercevait mieux dans les premières rues des faubourgs, presque désertes. Ceux qui, s’en tenant au peu qu’ils étaient, avaient désiré seulement retourner dans la maison de leur amour, étaient quelques fois récompensés. Certes, quelques-uns d’entre eux continuaient de marcher dans la ville, solitaires, privés de l’être qu’ils attendaient. (…) Mais d’autres, comme Rambert, que le docteur avait quitté le matin même en lui disant: «Courage, c’est maintenant qu’il faut avoir raison», avaient retrouvé sans hésiter l’absent qu’ils avaient cru perdu. Pour quelque temps au moins, ils seraient heureux. Ils savaient maintenant que s’il est une chose qu’on puisse désirer toujours et obtenir quelques fois, c’est la tendresse humaine.

(…) Si d’autres, au contraire, que Rieux apercevait sur les seuils des maisons, dans la lumière déclinante, enlacés de toutes leurs forces et se regardant avec emportement, avaient obtenu ce qu’ils voulaient, c’est qu’ils avaient demandé la seule chose qui dépendît d’eux. Et Rieux, au moment de tourner dans la rue de Grand et de Cottard, pensait qu’il était juste que, de temps en temps au moins, la joie vînt récompenser ceux qui se suffisent de l’homme et de son pauvre et terrible amour. » Pages 240-241.


Céline Zufferey, écrivaine, Lyon
 

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