Redécouvrir l'oeuvre de Cindy Sherman à travers les rapprochements inattendus de ses mises en scène photographiques, c'est ce que propose le Kunsthaus de Zurich jusqu'au 14 septembre. La rétrospective aborde les thèmes chers à l'Américaine - l'identité, les rôles sexués et le corps - dans leur dimension menaçante et grotesque.
"Untitled Horrors" ("Horreurs sans titre"): l'intitulé de l'exposition qui s'ouvre vendredi peut paraître anonyme et peu flatteur pour l'une des principales photographes contemporaines. Il fait pourtant allusion d'une part à la volonté de l'artiste de ne pas donner de titre à ses oeuvres: Cindy Sherman laisse ainsi l'observateur libre de ses interprétations, explique le Kunsthaus.
Envers du décor
L'aspect repoussant de l'intitulé marque d'autre part le ton sarcastique de la visite. Les 110 photographies de mise en scène de 1975 à nos jours s'entrechoquent dans un contraste tantôt tragicomique tantôt morbide entre les personnages de façade incarnés par Cindy Sherman elle-même et l'envers de leur décor.
Sans ordre chronologique et sans peur de heurter les sensibilités, l'exposition conçue en collaboration avec l'artiste ne recule devant aucun gouffre humain. Elle y plonge sans pudeur. Des femmes souveraines ou désemparées y côtoient détritus, pustules, poupées gonflables ainsi que des vagins ouverts, pénis humides ou anus défoncés de mannequins en plastique.
Vomissures et moisissures
La fascination pour le dégoût d'une réalité brutalement naturelle atteint son comble dans la partie centrale du parcours. Les murs y sont tapissés de photographies de restes de nourritures, de vomissures et de moisissures.
Face à elles, un grand compartiment s'ouvre aux visiteurs comme un théâtre. Huit femmes incarnées par Cindy Sherman y apparaissent en format monumental. Une oeuvre photographique dénuée de maquillage pour une fois, mais retouchée de manière digitale. L'artiste de 54 ans l'a réalisée en exclusivité pour l'occasion, a expliqué jeudi aux médias la commissaire de l'exposition Mirjam Varadinis.
Pas montrable aux Etats-Unis
Très crue et sans compromis, une exposition aussi déstructurée serait impossible aux Etats-Unis, explique l'historienne de l'art. Les gouffres humains d'une telle ampleur y sont systématiquement éludés.
Comme pour mieux souligner cette fuite devant le revers de la médaille, Cindy Sherman a réalisé une série d'oeuvres (2003-2004) évoquant le refoulement intérieur des événements du 11 Septembre. Elle y apparaît en clown dont le sourire peinturluré fait davantage peur que rire. Une allusion à l'optimisme forcé des New-Yorkais après les attentats de 2001.
"Un certain risque"
Si une telle exposition est montrable en Europe, elle est malgré tout susceptible de choquer ici aussi. "Nous prenons un certain risque", concède le directeur du musée Christoph Becker. A Zurich toutefois, il suffit d'avertir à l'entrée les parents de jeunes enfants, estime-t-il.
L'hommage à Cindy Sherman s'inscrit dans une série d'expositions que le Kunsthaus consacre à l'image de l'être humain, son corps et sa sexualité. Zurich est la troisième et dernière étape européenne des oeuvres déjà présentées à Oslo et Stockholm ces derniers mois.
Particularité technique de l'exposition, un audioguide est disponible sous forme d'application pour smartphone. Outre son caractère informatif, il permet aussi aux visiteurs de se photographier et de se mettre en scène avec des objets utilisés par Cindy Sherman.