courrier des lecteurs

Initiative Weber: compatible avec un développement durable?

1 mars 2012

L'initiative Weber propose de fixer à 20% au maximum le taux de résidences secondaires dans toutes les communes suisses, sans distinction. Cette mesure semble-t-elle mûrement réfléchie, analysée sous l'angle du développement durable, pour s'attaquer à une problématique aussi complexe? A l'origine, cette initiative se base sur le courroux de certains milieux écologistes, qui souffrent de voir les paysages se dégrader. Excédés par la lenteur des instances politiques à s'attaquer à ce problème réel, ces derniers tentent l'opération «coup de poing» avec une initiative basée sur l'émotionnel, se fondant sur un taux arbitraire, sans réflexion profonde. Or, la colère est mauvaise conseillère. Si on peut comprendre la mauvaise humeur de certains se promenant dans les rues des stations alpines, il est en revanche plus difficile de cautionner le fait que cette irritation se transforme en votation populaire. Oui, il est nécessaire de réguler l'étalement des résidences secondaires de vacance. Mais cela fait longtemps que les autorités en charge de l'aménagement du territoire, aussi bien aux niveaux fédéral, cantonal et communal, s'en préoccupent. Leurs efforts sont enfin en passe de donner des résultats probants, grâce, notamment, à la nouvelle teneur de la loi sur l'aménagement du territoire: si aucune mesure n'est prise à l'horizon 2014 pour limiter le nombre de résidences secondaires, leur part constructible ne sera pas 20%, mais 0%. Les cantons et les communes l'ont compris, et conjuguent d'ores et déjà leurs énergies pour trouver des solutions. Seulement voilà: en cas d'acceptation le 11 mars prochain, tous les efforts de réflexion et toute la créativité développée autour des résidences secondaires pourraient être balayés en un tournemain. Et une initiative visant à protéger le paysage pourrait se retrouver paradoxalement responsable de l'accélération du mitage du territoire en Suisse. En effet, il est aisé d'imaginer un des scénarios probable en cas d'acceptation de l'initiative : les propriétaires et promoteurs vont mettre en œuvre un grand nombre de projets réalisés en toute hâte, peu qualitatifs, pour tenter de valoriser les terrains affectés en zone à bâtir, bientôt voués aux pâturages. Leur objectif sera d'obtenir un permis de construire avant le 1er janvier 2013. Cette initiative risque donc de doper artificiellement la construction de résidences secondaires. Pour preuve : en Valais, entre le 19 et le 31 décembre 2006, plusieurs dizaines de projets ont été déposés à la hâte avant l'entrée en vigueur du moratoire «Cina», décrété par le Conseil d'Etat. Ce phénomène risque fort de se reproduire, à grande échelle cette fois. Puis, dès le 1er janvier 2013, si la demande est toujours présente, les promoteurs, entrepreneurs et architectes vont prospecter dans les communes non touristiques pour y construire des résidences secondaires. Et il est difficile d'imaginer un refus de la part des communes qui n'ont pas l'expérience du tourisme, face à des perspectives financières alléchantes. Cela risque d'induire un gaspillage des terrains destinés à l'habitat des autochtones pour y construire des volets clos. En conséquence, le prix des terrains prendra l'ascenseur, les rendant inabordables pour les indigènes à qui ils sont naturellement destinés. L'initiative aura donc déplacé le problème, sans le régler. Pour s'inscrire dans l'esprit du développement durable – ou de la décroissance soutenable – cette initiative devrait s'accompagner de mesures visant à aider la transition dans le domaine touristique, à empêcher une perte d'emplois conséquente et à éviter une fracture sociale. Or cette initiative traite uniquement du volet écologique, et, comme l'analyse le démontre, risque de ne pas atteindre ses objectifs. Cette initiative semble peu efficace du point de vue écologique, risque d'entrainer des problèmes économiques et, cela a déjà commencé, renforcera les animosités entre les populations citadines et montagnardes. Elle est donc contraire aux principes du développement durable. Il est important de sortir du débat émotionnel et de refuser cette initiative sous cette forme. Mais il est tout aussi important de prendre des mesures rapides et efficaces pour freiner le mitage du territoire induit par les résidences, qu'elles soient principales ou secondaires. Des mesures coordonnées, prenant en compte les effets sur la protection de l'environnement, sur l'emploi en région de montagne et sur le maintien de conditions sociales acceptables pour les populations, doivent remplacer cette initiative. Des mesures existent, sont efficaces et ont été appliquées dans plusieurs communes des régions alpines. En conclusion, un message est lancé aux milieux écologiques et touristiques : mettez-vous rapidement au travail, ensemble, et proposez des solutions conformes aux principes du développement durable ou de la décroissance soutenable, c'est selon. Et pour y parvenir, profitez de l'expérience des communes ayant mis en place des modèles fonctionnels et soutenables pour lutter contre le mitage du territoire.
par Frédéric Roux , Sion