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Corps découverts aux Diablerets: la première des filles des disparus témoigne

Les deux corps retrouvés jeudi au glacier de Tsanfleuron sur territoire valaisan sont ceux d'un couple de Saviésans disparus en août 1942. Monique Gautschy-Dumoulin avait 11 ans quand ses parents n'ont plus donné signe de vie. Elle témoigne.

18 juil. 2017, 18:29
Monique Gautschy-Dumoulin, la première des filles des disparus en 1942, témoigne après la découverte de ses défunts parents.

C’est en préparant un hommage à ses parents et à ses cinq frères décédés que Monique Gautschy-Dumoulin apprend qu’on aurait découvert le corps de sa maman et de son papa disparus il y a 75 ans. «J’ai appelé mon neveu, Félix Dumoulin, le fils de Candide pour qu’il me donne une photo pour le Nouvelliste (je voulais avoir tout ce qu’il fallait pour faire paraître l’article pour le 15 août). C’est là qu’il m’a annoncé la nouvelle.» En se remémorant ce coup de téléphone, Monique a la voix qui tremble. «Félix m’a bien dit que ce n’était pas sûr que ce soit eux, mais j’ai tout de suite été sûre que les analyses ADN confirmeraient qu’il s’agissait de mes parents.».

>>A lire aussi: Corps momifiés découverts aux Diablerets: il s'agit d'un couple de Saviésans

Monique Gautschy-Dumoulin a les yeux qui s’embrument. Les résultats ne sont pas encore connus, mais cette certitude, c’est la même que celle qu’elle a éprouvé il y a 75 ans quand ses parents ne sont pas rentrés à la maison. «Ils étaient partis pour l’alpage après avoir chanté la messe. Comme j’étais leur première fille, ils m’avaient confié la garde des petits. Ils m’ont dit qu’ils rentreraient le soir même ou peut-être le lendemain car s’ils étaient trop fatigués, ils passeraient la nuit au mayen.»

Elle avait onze ans, la petite Monique. Elle s’en souvient bien, c’était un samedi. Son père l’a serrée dans ses bras. «J’étais son chouchou.» Le dimanche matin, déjà inquiète, elle part se renseigner. «Je suis montée chez Julienne parce que sa maison était à l’orée du village pour lui demander si elle avait aperçu mes parents. Quand elle m’a répondu par la négative, je suis partie en pleurant. J’avais vu le malheur arriver.»
 

Le trajet approximatif emprunté par le couple Dumoulin ce 15 août 1942. © INFONF

Monique se souvient aussi des recherches qui ont duré des jours. «C’est le curé Jean, un ami de papa qui les a lancées.» Roger Bonvin, alors commandant d’un bataillon alpin, est appelé à la rescousse. «Il y a participé activement. Tout le village était en émoi», se rappelle Raymond, un Dumoulin d’une autre famille qui avait 15 ans au moment du drame.

A tel point que Monique n’oubliera pas ce militaire en qui elle avait placé tant d’espoirs. «Des années plus tard, quand il est entré au Conseil Fédéral, je lui ai offert des fleurs à la gare de Sion. Mais sans lui dire qui j’étais. Juste parce que ça me faisait plaisir de lui faire plaisir», confie celle qui a longtemps possédé un magasin de fleurs et de légumes sur la place de la gare.
 

Marcelin Dumoulin, l'époux disparu sur le glacier. © DR

Du tuteur pas toujours facile, de la famille dispersée et des liens qui se distendent quand on n’est pas élevés ensembles et des épreuves qui guettent chaque orphelin, Monique en parle rapidement. Elle préfère évoquer «la belle enfance » qu’elle a eue jusqu’à onze ans. «Après tout est tombé à l’eau.» Son papa était un homme formidable. «Un travailleur. Notre maison à Chandolin a brûlé deux fois, à chaque fois, il l’a rebâtie de ses mains. C’était un artiste aussi. Il chantait beaucoup.»

«Ce cordonnier chez qui on allait prendre mesure pour nos souliers, était en effet un ténor très apprécié », confirme Raymond Dumoulin. «Tout le monde l’aimait bien. Quand il a fallu nous placer, chaque famille aurait pris un enfant de Marcelin même s’il en avait eu vingt, tellement il était gentil.» Sa maman, institutrice, venait de Lourtier. «C’était la fille de La Brésilienne. On appelait comme ça ma grand-mère maternelle car elle avait émigré avec sa mère au Brésil vers 1800 et des poussières.»
 

Francine Dumoulin, dont on vient de retrouver le corps aux Diablerets. © DR

La résilience incarnée

Dans sa villa de Conthey, Monique Gautschy vit seule. Son mari est mort dans l’incendie de leur maison en 2006. Ils n’ont pas eu d’enfants. «J’aurais tellement aimé avoir une petite fille, mais la vie en a décidé autrement.» Son trop plein d’affection, elle l’a reporté sur ses chiens. Des caniches nains qui ont remporté moults concours de beauté à travers toute l’Europe. «J’ai beaucoup voyagé», explique cette grande dame d’un mètre cinquante. Entre deux souvenirs douloureux, ses yeux s’éclairent.

Monique Gautschy-Dumoulin, 86 ans le 7 août, «je suis une lionne, une vraie», nous bluffe par son énergie. Si elle a cédé son commerce il y a plusieurs années, elle vend toujours ses tomates au marché de Sion. «Malgré le malheur. On s’en est tous bien sortis. On a eu un bon départ dans la vie avec nos parents. On n’a jamais volé quoi que ce soit, même pas une pomme.»
 

Monique Gautschy-Dumoulin a reporté son affection sur ses chiens. © HELOISE MARET

Avec verve, elle parle de politique, dit le peu de bien qu’elle pense de Trump et de Poutine, et le respect qu’elle vous à Federer ou encore de sa passion pour le FC Sion. «Il y a une vingtaine d’années, je suis allée en Lituanie les voir jouer à Siauliai. J’en ai profité pour visiter la colline des croix. Là, j’ai fait le vœu de revoir mon père et ma mère avant de mourir. Et voilà qu’il va être exaucé.» L’émotion la submerge à nouveau. «J’aimerais embrasser mon papa comme j’ai embrassé mes frères lorsqu’ils sont morts. Je n’ai pas peur de le faire, même après toutes ces années.»

Sa dame de compagnie, Tania, nous avoue que chaque jour, Monique Gautschy-Dumoulin, se tourne vers le glacier de Tsanfleuron en se remémorant ses parents disparus. «Des choses comme ce qui m’est arrivé, je pourrai l’oublier seulement le jour où on me fermera les yeux.»

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