Votre publicité ici avec IMPACT_medias

ValaiStars: les confidences de Claude Barras, gagnant de l'opération lancée par "Le Nouvelliste"

Le réalisateur a été choisi comme personnalité de l’année lors du grand gala organisé par «Le Nouvelliste». Confidences nocturnes.

13 janv. 2017, 23:28
/ Màj. le 14 janv. 2017 à 09:40
Bieudron - 12 janvier 2017 - Usine électrique de Bieudron - Cérémonie d'élection de la Valaistar 2016 - Le gagnant est Claude Barras,réalisateur de Ma vie de Courgette. Photo: Sabine Papilloud VALAISTAR16

Claude Barras, vous arrivez tout juste de Los Angeles où vous étiez en lice pour les Golden Globes, vous repartez pour Paris aux aurores demain. Vous tenez le coup?

Oui, c’est tout de même extrêmement excitant ce qui se passe avec le film. Mais ça fait pas mal de mois que je cours d’avant- premières en interviews ou en cérémonies… Tout ça porte «Courgette» vers le public, et c’est très bien. Dès le mois de mars, je pourrai entamer un nouveau projet tandis que le film continuera son chemin de son côté…

Vous venez de remporter le titre de ValaiStar pour 2016. Vous avez reçu beaucoup de récompenses cette année, pas loin de trente, mais celle qui vient de votre terre, de vos racines, est-elle spéciale à vos yeux?

C’est toujours très touchant d’être reconnu par les gens au milieu desquels on a grandi. On dit souvent que nul n’est prophète en son pays. C’est agréable de voir que ça n’est pas toujours vrai. Beaucoup de gens sont venus aux avant-premières valaisannes: ma famille, tout le village d’Ollon, Chermignon… Tout à l’heure, une cousine me disait que ce qu’elle aimait dans le film c’est qu’il porte des valeurs qu’elle-même a reçues ici en Valais. L’auteur du livre est français mais, en effet, on trouve des valeurs humanistes et de vivre-ensemble qui sont très fortes ici. Et qui sont universelles.

Cela contredit le cliché de fermeture qu’on a souvent sur le Valais, non?

Indirectement, le film parle un peu d’immigration dans certains vécus difficiles des personnages. En la matière, c’est sûr, le cliché de fermeture existe sur le Valais. Mais dans le tissu communautaire du canton, je crois que le vivre-ensemble, la solidarité, le fait de braver les difficultés sont des notions très présentes, au-delà des idées reçues.

Au fond, avez-vous identifié ce qui vous a «appelé», ce qui a résonné en vous, dans ce récit, dans le livre de Gilles Paris, à l’origine?

Le livre parle de l’enfance et tous mes films en sont imprégnés. C’est ce moment qu’on a tous partagé, où on a tous découvert le monde. Voir évoluer des héros enfants, ça nous reconnecte avec des choses qu’on a peut-être un peu perdues, des choses simples. Il y a aussi cette notion de la marge. Avec mon métier et les difficultés que j’ai dû traverser pour y arriver, je suis sensible à la question. Dans chaque être humain, il y a cette double dimension: on veut faire partie de la communauté, on veut être accepté et, en même temps, on veut être singulier… Le film parle de tout ça, en effet.

Vous êtes d’une personnalité plutôt discrète. Comment gérez-vous l’exposition? Cette médiatisation a-t-elle été violente à vivre parfois?

Je m’en sors en me disant que je suis au service du film, de cette aventure qui est collective. Je suis certes le seul à avoir traversé tout le film, à avoir dû garder le cap. Mais beaucoup de gens ont amené de la technique, de l’artistique, et c’est à cette alchimie qu’on doit la réussite ou l’échec d’un projet. J’accepte d’être dans la lumière, même si ce n’est pas ce que je préfère, en me disant que je porte ce travail d’équipe vers le spectateur. C’est important, car sans le soutien des médias il est très difficile d’émerger de la masse de la production et de faire jeu égal avec des mastodontes issus des gros studios qui ont dix fois notre budget.

Quand l’aventure de «Courgette» démarrait, «Le Nouvelliste» avait réalisé un micro-trottoir pour évaluer votre notoriété en Valais. Peu de gens vous connaissaient alors. Aujourd’hui, tout a changé?

Oui, j’avais d’ailleurs adoré ce micro-trottoir! C’est vrai que la situation a changé et c’est une situation un peu difficile pour moi. Quand je rentre en Valais, beaucoup de gens viennent me parler de Courgette, du film, me remercier… C’est très chouette, mais ça prend énormément de place dans ma vie maintenant. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu une discussion toute simple avec des gens sans qu’elle ne tourne autour de Courgette. J’ai encore quelques copains de parapente ou de montagne avec qui on parle de tout autre chose (rires).

Cela étant, avez-vous développé un rapport complexe avec le personnage de Courgette, avec la marionnette que vous prenez partout avec vous?

Un peu oui (rires). Pendant des années, il a été ma marionnette. Le rapport s’est inversé. Parfois, je le regarde et je me demande comment il en est venu à prendre une place aussi grande dans le cœur des gens et, finalement, dans ma vie. Je me repose beaucoup de questions… Et je crois que c’est encore une fois sa simplicité qui a fait merveille. Je prends le positif qu’il y a dans notre rapport et pour ce qui est du reste, ce que la situation peut avoir d’invasif, je me dis que ça va finir par passer.

Avez-vous pu avoir, durant l’année écoulée, et même durant la création, peur que tout ça soit trop intense à vivre, trop épuisant?

C’est un métier passion. Dans ce cas de figure, le danger que le travail prenne toute la place et étouffe la personne est réel. Mais j’adore ce que je fais et je fais partie d’une équipe en laquelle j’ai toute confiance, donc, malgré la masse de travail, les heures qu’on ne compte plus, ça reste plutôt agréable.

Au niveau de la lumière, difficile de faire plus éclatant qu’une cérémonie comme les Golden Globes. Quelles impressions en gardez-vous aujourd’hui?

J’y suis allé en me disant que la sélection était déjà une victoire. Il faut savoir que ce sont 87 journalistes qui votent pour les gagnants. A notre arrivée, beaucoup de journalistes sont venus nous souhaiter bonne chance et nous dire qu’ils avaient voté pour nous. Du coup, on a commencé à y croire et ça a été très stressant… Après, on était à table avec d’autres Européens, on a bu une ou deux coupes de champagne et on s’est détendus.

Ça devait tout de même être irréel comme moment…

Complètement. Je me suis dit qu’il fallait essayer de garder un maximum de souvenirs, d’impressions… Mais on est comme déconnecté du réel, sur une autre planète. Et finalement, c’est une cérémonie très festive. La soirée avançant, on se rend compte qu’on est tous des êtres humains pas si différents. Si ce n’est au niveau du revenu (rires).

Mais même dans la philosophie du cinéma, le rapport au réel est différent entre l’Europe et les Etats-Unis, non?

C’est juste. Dans les films américains d’animation, il s’agit souvent d’un personnage «outsider» qui réussit à la fin. Le rêve américain en somme. Dans «Ma vie de Courgette», il y a un côté très réaliste et direct, une confrontation avec la dureté de la vie qui surprend les Américains, mais qui ne leur déplaît pas.

Il y a eu aussi, récemment, ce Prix du cinéma européen, pour le meilleur film d’animation encore une fois, décerné à Wroclaw, en Pologne. Vous avez remercié Wim Wenders car le premier film que vous avez vu enfant, c’était «Les ailes du désir». Qu’aurait pensé cet enfant s’il vous avait vu vous adresser à cet immense réalisateur?

Difficile à dire… Il aurait été très impressionné, comme je l’étais sur le moment. Je n’avais pas préparé de discours, car je ne pensais vraiment pas remporter le prix. J’étais persuadé que ce serait «Tortue rouge», un film magnifique, sans dialogues qui plus est, donc très risqué dans sa dimension artistique. En général, on nous avertit quand on reçoit un prix et on nous demande si on a préparé un discours… ça n’était pas le cas. J’ai fait un peu comme j’ai pu, et cet hommage à Wim Wenders était évident.

Ce premier choc cinématographique a-t-il été déterminant?

Sûrement, d’une certaine façon. Mon souvenir est aussi très lié à la musique. Il y a du Nick Cave dans le film, que j’aimais beaucoup et que j’aime encore énormément. Du Minimal Compact aussi, du rock alternatif que j’écoutais à l’époque.

La musique de «Ma vie de Courgette», écrite par Sophie Hunger, est, à sa façon, un personnage du film. Vous soignez beaucoup cette dimension?

Je dois dire que faire appel à Sophie Hunger était une très bonne idée de mon producteur Max Karli. Quand je conçois un film, j’arrive à voir les scènes, entendre les voix et les ambiances sonores dans ma tête, mais je n’ai pas forcément de musique à l’esprit. J’ai tâché de m’y frotter un peu plus en collant des musiques de ma bibliothèque audio sur le croquis du film. En mettant «Le vent l’emportera», la reprise de Noir Désir par Sophie Hunger sur la fin, on a vu que ça fonctionnait magnifiquement bien. Il y a aussi «Eisbär» de Stefan Eicher, aussi une excellente idée de Max.

Des artistes suisses. C’est une volonté de montrer et d’affirmer les talents du pays?

Oui, en bonne partie. Ce sont des artistes auxquels je suis lié parce que j’aime et j’écoute leur musique. Et en même temps, ce sont des personnes qui ont un nom, une aura et qui aident aussi à faire avancer le film au moment où il sort. Au début février, il sort en Suisse alémanique et d’avoir au générique Sophie Hunger et Stefan Eicher, c’est comme un petit hommage à la pluralité helvétique.

Aujourd’hui, il reste la perspective des Oscars. Comment l’envisagez-vous?

Les jeux sont faits, on a fait nos présentations devant les votants de l’académie en novembre et en décembre. On est déjà très contents d’être dans les neuf sélectionnés pour la «shortlist» de la catégorie du meilleur film étranger. On se dit qu’on a une petite chance de créer la surprise, d’autant qu’on risque aussi de figurer dans la catégorie du meilleur film d’animation. Mais j’y penserai plus le 24 janvier, quand on saura si on fait partie des derniers sélectionnés. Avant ça, il y a la remise des Satellite Awards un peu l’équivalent des Golden Globes pour la presse américaine où on a reçu le prix du meilleur film d’animation et peut-être les César…

Après avoir vu un nombre incalculable de fois votre film, quel regard portez-vous sur lui aujourd’hui?

C’est étrange, selon le contexte, il me paraît très rapide ou très lent… Là, je me réjouis de découvrir la version anglaise qui vient d’être terminée. La version allemande est très réussie. C’est génial, parce que je redécouvre un peu Courgette, ça lui redonne une fraîcheur. Et comme le film a été acheté dans une cinquantaine de pays, il y a de quoi faire (rires).

Votre publicité ici avec IMPACT_medias