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Valais: l’histoire d’un tuteur qui a fait perdre 7,2 millions à l’Etat

Deux démarches au Grand Conseil valaisan évoquent vendredi une perte de 4,8 millions pour le canton et de 2,4 millions pour Lens. Après un litige estimé à plus de 20 millions concernant une affaire de tutelle. Voici les dessous de cette affaire.

15 juin 2018, 07:31
Le tuteur était trop gourmand...

Dans les comptes 2017 de l’Etat du Valais figure une perte de 4,8 millions due aux agissements d’un tuteur indélicat. La commune de Lens a aussi perdu 2,4 millions dans l’affaire. Les montants sont importants parce que l’objet du litige portait sur un total de 23 millions. Un montant énorme pour un canton comme le Valais. Explications en six points alors que l’affaire prend une tournure politique vendredi au Grand Conseil avec deux interpellations urgentes sur le sujet.

Un tuteur gestionnaire de fortune choisi par la famille

En 2001, A., un ancien banquier espagnol de 30 ans, rachète une société de gestion de fortune active à Crans-Montana, lorsque son propriétaire arrive à la retraite. Il y gère le patrimoine d’une soixantaine de clients, représentant des dizaines de millions de francs, pendant une dizaine d’années. Parmi ces clients, il y a une nonagénaire d’origine étrangère, W., ainsi que plusieurs membres de la famille de cette dernière. Lorsque W. est déclarée inapte à gérer ses affaires en raison de son âge par la Chambre pupillaire de Lens, A. est nommé tuteur, à la demande de la famille de la pupille.

Dans le cadre de ses activités de gestion, A. perd de l’argent sur les comptes gérés par ses clients. Pour cacher ces pertes, il crée de faux relevés de comptes. Lorsqu’un client veut récupérer ses biens, A. puise dans les comptes d’autres clients, grâce à l’envoi d’ordres trafiqués. A. utilise allègrement les comptes de W. pour renflouer ses autres clients. Il prélève aussi des honoraires indus.

L’affaire se trouve devant le Tribunal fédéral

En 2010, la pupille décède. Ses héritiers déposent une dénonciation pénale contre le tuteur. Le Ministère public ordonne une perquisition dans ses locaux, mais aussi dans ceux de la Chambre pupillaire de Lens. En 2015, le Tribunal de Sierre condamne le tuteur à cinq ans et demi de prison estimant à 6,5 millions le montant concernant les malversations. Il est mis en détention, malgré l’appel qu’il dépose. Le condamné fait recours au Tribunal fédéral contre son incarcération, mais il est débouté, en raison des risques de fuite. L’année suivante, le Tribunal cantonal condamne en appel le tuteur à quatre ans et demi de prison. Ce dernier a fait recours au Tribunal fédéral, lequel n’a pas encore statué.

Le Tribunal cantonal fait des reproches à la Chambre pupillaire

Selon le Tribunal cantonal, la Chambre pupillaire de Lens aurait dû intervenir lorsqu’elle a constaté que le tuteur ne respectait pas les règles de gestion, car le tuteur A. n’a pas suivi les recommandations fédérales en matière de placement. Il investit notamment dans des produits dérivés, des «hedges funds» et autres fonds spéculatifs et a fait transiter des fonds par des comptes offshore situés dans des paradis fiscaux. «Alors qu’elle a pu prendre connaissance de la structure des placements en juin 2009 et constater que des pertes importantes étaient survenues, précisément en raison de la nature des placements, la Chambre pupillaire a approuvé les comptes qui lui étaient soumis et n’a donné aucune injonction particulière au tuteur (…) Face à ce comportement, le curateur A. pouvait admettre que la chambre avait consenti à la gestion du patrimoine qu’il suivait.»

A l’époque comme aujourd’hui, la Chambre pupillaire de Lens était gérée par des citoyens miliciens avec un juriste greffier. L’actuel chef de groupe PDC du Parlement, l’avocat notaire Sidney Karmerzin a officié à ce poste pendant une année en 2008, alors qu’il n’avait pas de mandat politique. Celui-ci ne répond pas aux reproches du tribunal. «Je n’étais pas là lorsque le tuteur a été nommé en 2007 ni au moment de la présentation des comptes le concernant.» En revanche, il reconnaît que la structure de l’époque toujours en place aujourd’hui n’est pas du tout «adéquate pour gérer ce type de cas». Comme tous les membres de la chambre, il avait reçu un commandement de payer de plus de 20 millions envoyé pour éviter la prescription et retiré quelques semaines plus tard.

L’état et la commune de Lens se sont réparti le paiement des 7,2 millions

Alors que le litige était estimé à plus de 20 millions de francs, la négociation entre les avocats des héritiers de la pupille – dont Charles Poncet et Sébastien Fanti – et l’Etat et Lens a débouché sur un montant final à payer de 7,2 millions de francs. Le canton va payer au final 4,8 millions et Lens 2,4 millions. Cet accord est assorti d’une clause de confidentialité. En prenant en charge ce montant, la commune de Lens reconnaît, selon son président, «un litige concernant la chambre pupillaire et a décidé avec l’Etat de le régler». Mais elle ne s’est pas et ne va pas se retourner contre elle. «Selon nos avocats, ce n’est pas possible juridiquement», poursuit le président David Bagnoud. Du côté du canton, le conseiller d’Etat Frédéric Favre confirme qu’une étude est en cours pour savoir si une procédure sera entamée pour récupérer une partie de cet argent auprès d’une banque concernée par les agissements du tuteur.

Les APEA (ex-chambres pupillaires) traitées en «urgence» au Parlement

L’affaire de la Chambre pupillaire de Lens, appelée APEA depuis, va se retrouver au Grand Conseil aujourd’hui, dans le cadre des débats sur les urgences avec les autres dysfonctionnements des APEA.

Le groupe UDC demande des explications au conseiller d’Etat Frédéric Favre sur ce dossier, se demandant s’il a voulu cacher le véritable état de la situation des APEA. «Avec un dommage total de plus de 7 millions dans cette seule affaire, ne faut-il pas reconnaître que les risques encourus par les collectivités publiques sont trop importants et que seuls des magistrats professionnels sont susceptibles de minimiser ce risque?»

De son côté, le PDC du Bas demande d’aller vers une professionnalisation de ces structures. Après cette expérience, Sidney Kamerzin est clairement favorable à la professionnalisation des APEA.

Les Verts vont déposer une motion en septembre pour modifier la loi dans ce sens.
 

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