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Valais: il y a trois ans, Moumen ne savait pas un mot de français. Aujourd'hui, il décroche son diplôme

Moumen Tabekh n'a que 17 ans, mais une volonté de fer. Il est arrivé en Valais en 2014 ne parlant que l'arabe. Trois ans après, ce Montheysan d'adoption rejoindra l'école de culture générale en août après avoir obtenu son diplôme à l'Ecole pré-professionnelle. Son but: devenir professeur de sciences. Un exemple d'intégration réussie.

05 juil. 2017, 10:29
/ Màj. le 06 juil. 2017 à 05:20
Après l'Ecole pré-professionnelle, Moumen Tabekh rejoindra les bancs de l'école de  culture générale de Monthey à la rentrée.

Dans une armoire de l’appartement de la famille Tabekh à Monthey, se trouve un trésor. Une boîte à merveille abritant les photographies d’une vie de famille heureuse assemblées dans des mini-albums en plastique. «Nous les avions emballés dans plusieurs sacs pour les protéger de l’eau pendant la traversée de la mer, de la Libye à l’Italie. On a pu les sauver», confie Moumen Tabekh (17 ans) avec douceur.

A peine ces mots prononcés dans un français presque parfait, le jeune Syrien les traduit en arabe pour son père Mohamad, intrigué, à ses côtés. Son papa opine du chef, puis dévoile avec nostalgie et fierté les photographies d’avant.

Avant la guerre.

Avant le départ pour des terres en paix.

Mohamad Tabekh tend avec une tendresse particulière les images de son épouse, décédée du cancer peu avant l’exil de la famille. Une belle femme rayonnante. «Merci», souffle Mohamad Tabekh, la main sur son cœur, touché par le compliment.

 

Moumen (à gauche) avec son frère Kasem et leur petite soeur Hiba, à Damas. © DR

 

L’épreuve de la traversée de la mer

Ce Syrien est arrivé en Suisse il y a trois ans avec ses deux fils, Kasem (20 ans) et Moumen, après avoir fui leur pays en guerre – la benjamine de la famille, Hiba (12 ans), restée chez sa grand-maman à Damas, les a rejoints l’année dernière. Les trois hommes sont partis de chez eux en 2012 pour se rendre en Libye. Ils y passent un an et demi avant que les passeurs leur permettent d’embarquer dans un bateau pour aller en Italie.

La traversée, difficile, dure trois jours. «Nous étions 270; on n’avait que quelque quelques centimètres chacun pour nous tenir dans l’embarcation. J’avais de l’eau jusqu’à la poitrine, j’avais si froid», se souvient Moumen Tabekh.

Il avoue que c’est la seule fois de sa vie où il s’est senti découragé, sûr de ne pas en ressortir vivant. «J’étais tellement malade; je me suis endormi plusieurs heures; au réveil, je ne voyais que de l’eau. Pas l’ombre d’une plage», confie-t-il avec pudeur.

«Je veux devenir professeur de sciences»

Moumen Tabekh n’aurait pas raconté cette épreuve de lui-même. Ce n’est pas son genre de se plaindre.

Moumen Tabekh, c’est plutôt l’inverse. Un jeune homme tout en modestie, presque effacé, qui travaille d’arrache-pied pour s’intégrer et atteindre son objectif professionnel. «Je veux devenir professeur de sciences», lance-t-il avec une franchise désarmante.

Rien ne semble impossible à ses yeux. «Il faut travailler dur pour y arriver, mais je le ferai», affirme-t-il avec une volonté de fer dans le regard. «Moumen est très sérieux. Presque trop», lance en souriant son frère aîné Kasem, en entendant ces propos.

 

Moumen ne plaisante pas avec les études. Il a passé des heures et des heures à travailler en classe EPP pour obtenir son diplôme© Héloïse Maret

 

Moumen Tabekh, toujours vêtu d’une chemise «sérieuse», ne proteste pas. «C’est vrai que je travaille beaucoup, mais il le faut si je veux réussir.» Et sa méthode fonctionne, puisqu’il vient de décrocher son diplôme de l’Ecole Pré-Professionnelle (EPP) à Saint-Maurice. Il a ainsi son visa pour l’école de culture générale qu’il rejoindra dès la rentrée d’août.

Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. Moumen Tabekh ne parlait pas un mot de français il y a trois ans. Dès son arrivée en Valais, il a étudié la langue sans compter son temps.

Isabelle Daves, sa titulaire de classe à l’EPP, mais aussi Danielle Berrut, une enseignante à la retraite, l’ont toutes deux aidé à accroître son vocabulaire. «Quand j’ai dit à mes élèves de lire les livres qu’ils voulaient, Moumen a pris un bouquin de sciences et a traduit patiemment tous les mots français qu’il ne connaissait pas en arabe. Puis, il les a appris. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi volontaire», raconte Isabelle Daves.

Une meilleure amie valaisanne

Pendant son année à l’EPP, Moumen a pu bénéficier de l’aide de Gina Gomes, devenue «sa meilleure amie», aime-t-il à souligner. Les deux adolescents ont créé des liens très forts. «Nous sommes tout le temps ensemble. On se ressemble tellement!», lance Moumen Tabekh.

Gina Gomes, en vacances au Portugal jusqu’à dimanche, a le même sentiment, précise-t-elle au bout du fil. «C’est comme mon petit frère. Je l’aime beaucoup. Il a un grand cœur, est toujours prêt à aider les autres, toujours souriant, et persévérant surtout.»

Le duo s’est connu en classe EPP. «Au début, il était très timide. Je n’avais pas trop envie de lui parler», avoue Gina Gomes. Au fil des jours, elle apprend à le connaître. Et inversement. «On a commencé à discuter, je l’ai trouvé sympa; peu à peu, on est devenus amis», raconte l’adolescente.

 

Gina Gomes a connu Moumen en classe d'EPP. Rapidement, les deux élèves sont devenus des amis. © DR

 

La confiance grandit entre eux. Gina Gomes est désormais la confidente de son camarade. «En cours d’année, je me suis rendu compte qu’il s’inquiétait un peu car il n’avait pas assez de bonnes notes pour aller à l’école de culture générale et concrétiser son rêve professionnel, alors je lui ai proposé de l’aide.»

Les deux élèves se retrouvaient souvent à la médiathèque après les cours pour perfectionner le français de Moumen. Mais pas seulement. «Lui me donnait des coups de main en allemand. C’est un comble: il se débrouillait mieux que moi dans cette langue alors que je l’étudie depuis mon enfance. Et il a réussi à avoir des bonnes notes! C’est trop beau», raconte Gina Gomes avec chaleur et admiration.

«Moumen m’a redonné l’envie d’enseigner»

Admiration. Le mot revient chez toutes les personnes qui ont approché Moumen Tabekh. «C’est un être rare, exceptionnel. Il a tout pour lui, les capacités intellectuelles et humaines. Et il dégage une telle lumière», s’enthousiasme Isabelle Daves. «Il a eu le prix de l’élève méritant. Et c’est vraiment mérité», ajoute-t-elle.

 

Isabelle Daves et Danielle Berrut ont toutes deux aidé Moumen à améliorer son français. © Le Nouvelliste

 

Même impression pour Danielle Berrut qui avoue avoir un peu perdu la flamme de l’enseignement avant de donner les cours à cet élève d’exception. «Je n’étais plus trop motivée. Mais Moumen a montré une telle persévérance, une telle volonté et une telle soif d’apprendre qu’il a réussi à me redonner l’étincelle du métier. Avec lui, j’ai retrouvé la beauté de l’enseignement. Je serai prête à recommencer une carrière de 35 ans», confie-t-elle avec émotion.

Conscient de sa chance de pouvoir étudier

Moumen Tabekh, c’est la résilience faite homme. «Son parcours aurait pu le faire sombrer, mais il en a fait une force», souligne Isabelle Daves. L’adolescent, lui, ne cesse de répéter qu’il a eu de la chance d’être arrivé en Suisse. «On m’a permis d’étudier ici.»

Il dégage tellement de volonté qu’un employeur chablaisien était déjà prêt à l’engager comme apprenti électricien s’il ne pouvait pas entrer à l’école de culture générale. «Mon père voulait que je devienne électricien. Comme lui. J’ai d’ailleurs appris les bases de la profession avec lui», raconte Moumen Tabekh.

 

Le papa de Moumen, Mohamad, est heureux de la réussite de son fils. © Héloïse Maret

 

Son papa est en dialyse trois fois par semaine

L’adolescent a même travaillé dans ce secteur pendant le séjour de la famille en Libye. Pour aider les siens; son père ayant des problèmes de santé. Aujourd’hui, Mohamad Tabekh suit des dialyses trois fois par semaine en attendant une greffe de rein. «C’est impossible pour lui de travailler», raconte Moumen Tabekh en regardant son papa. Il lui traduit ces mots en arabe.

Son père nous sourit. Il ne veut pas s’étendre sur ses difficultés. Pudeur oblige. Mohamad Tabekh propose alors que l’on goûte le taboulé syrien qu’il a préparé exprès pour les invités. «Prenez, prenez», souligne-t-il en tendant l’assiette colorée et fraîche. «Spécialité de chez nous.»

 

Le jour du reportage, la famille Tabekh a préparé un taboulé syrien, l'une des spécialités de son pays d'origine. © Héloïse Maret

 

Bientôt le passeport valaisan?

Une pincée de ses origines dans son monde d’adoption, en Valais. Une terre d’accueil sur laquelle la famille se sent bien. Seule la benjamine s’ennuie encore de son pays natal. «Mais elle n’est là que depuis un an», rassure Moumen Tabekh. Qui, lui, ne cache pas son bonheur de vivre dans le canton. «J’aurais bientôt mon passeport valaisan. Je suis en train d’apprendre la langue valaisanne», lance-t-il en riant.

Avec délicatesse, il remballe les petits albums photos et les range dans l’armoire. Après avoir fait de son passé une force, Moumen Tabekh se veut confiant en l’avenir. Les années d’études qui l’attendent ne l’effraient pas. «C’est bon. Je sais que je peux traverser cela.»

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