«On comprend pourquoi les femmes alpinistes sont passées au pantalon.» Marie-France Hendrikx éclate de rire. Il y a quelques jours, cette historienne installée en Valais a gravi le Cervin. En tenue d’époque. Pas de pantalons chauds et légers mais une jupe. Pas de chaussures à guêtre intégrée mais des bottines de cuir.

Celle qui est partie sur les traces de Lucy Walker, première femme à avoir atteint le sommet du Matterhorn, avait envie d’expérimenter l’exploit. Cent cinquante ans exactement après la première. Bref, le vivre pour comprendre.

Des kilos d’habits

Il est 4 h 30 du matin ce mercredi 18 août. Accompagnée de Laurent Grichting, un ami guide, Marie-France Hendrikx se met en quête de la montagne la plus connue du pays. Sous sa grosse veste de laine, un jupon en coton, une jupe de soie, un tablier de toile, un corset, un chemisier et des chaussures en cuir doublées de laine. Rien que ça. En plus d’être lourd, l’accoutrement n’est pas pratique. «Le chemisier grattait, le corset me comprimait le thorax, le chapeau s’envolait, c’était vraiment compliqué», avoue celle qui pratique régulièrement l’alpinisme.

«Pour escalader les rochers, j’ai finalement dû renoncer aux gants de cuir qui empêchent de sentir la texture de la roche», poursuit l’héroïne. Le chapeau est lui aussi bien vite abandonné, remplacé par un casque. L’expérience d’accord, mais la sécurité d’abord. La montée est périlleuse. Il faut retenir cette maudite jupe aux prises avec le vent.

Michaël Rouzeau – Film : «Sur les traces de Lucy Walker» – Waw Crea et Luna Productions

En 1867, quatre ans avant la prouesse de Lucy Walker, ce même vent avait coûté la primauté à l’alpiniste italienne Félicité Carrel. La jupe gonflée par les rafales, elle avait renoncé à 100 mètres de l’arrivée. La presse s’en était largement moquée, croquant la jeune femme de 18 ans muée en montgolfière.

Une doudoune au sommet

Pas de demi-tour nécessaire pour Marie-France Hendrikx. «Entre l’effort et les multiples couches, j’ai beaucoup transpiré», raconte l’intéressée. Au sommet, les bourrasques gelées sont insupportables. Entorse compréhensible et pardonnable à l’histoire, elle s’autorise une doudoune.

Michaël Rouzeau – Film : «Sur les traces de Lucy Walker» – Waw Crea et Luna Productions

D’autant que l’aventure est loin d’être terminée. «La descente a été compliquée, l’émotion et l’hommage à Lucy Walker ont bien vite été balayés par les réalités de 2021», résume-t-elle d’entrée. «Il y avait d’autres cordées qui attendaient. Le baudrier frottait contre mon corset. Je ne me voyais pas les pieds et je les ai plusieurs fois crochés dans ma jupe.» Il faut compter sur l’équipe. Miser sur la solidarité. Prendre son temps. En tout, un peu plus de dix heures ont été nécessaires à la cordée pour faire l’aller-retour du caillou.

Réhabiliter les femmes en montagne

Quelques heures qui s’inscrivent dans un projet bien plus grand. Depuis près de deux ans, l’historienne consacre une grande partie de son temps à Lucy Walker et, avec elle, à la place des femmes alpinistes. Une place oubliée, marginalisée. Si les sources sont abondantes quand on parle des hommes et de la montagne, c’est tout le contraire avec les femmes. «Comme les femmes alpinistes de l’époque ont dû trouver des combines pour faire de la montagne quand cela leur était interdit, il a fallu qu’on se débrouille pour combler l’absence des sources», justifie Marie-France Hendrikx. D’où l’expérience de terrain.

Michaël Rouzeau – Film : «Sur les traces de Lucy Walker» – Waw Crea et Luna Productions

Si l’exposition «Nouvelles perspectives. Femmes à Zermatt – hier et aujourd’hui», dont elle est la co-commissaire, est à voir depuis le mois de mai au Matterhorn Museum, un film mêlant recherches historiques et reconstitution de l’ascension est annoncé pour le mois de novembre.

Un nouveau regard en héritage

Celle qui se réjouit de partager cette odyssée en garde aussi une empreinte plus personnelle. «Lucy Walker et cette reconstitution m’ont fait changer mon regard sur la montagne.» Aux oubliettes la performance ou la vitesse. «Ce que j’aime en fait, c’est l’esprit de cordée, l’aventure humaine et collective, la confiance envers son guide.» Une montagne finalement qu’on savoure. Qu’on contemple. A l’ancienne.

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