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L'interview de l'explorateur Mike Horn: "C'est ne qu'est dans notre imagination que la Terre est grande"

L'explorateur de tous les superlatifs a fait escale en Valais, plus précisément à Crans-Montana. A l'occasion des 30 ans du Régent, Mike Horn parle de son expédition Pole2Pole et revient sur ses aventures passées le temps de deux conférences. Nous l'avons rencontré ce matin à l'Hostellerie du Pas de l'Ours. Interview.

05 déc. 2017, 17:41
/ Màj. le 06 déc. 2017 à 06:45
Mike Horn est de passage à Crans-Montana pour partager ses expériences.

Mike Horn, c’est d’abord un déséquilibre. Celui d’une poignée de mains qui vous rappelle l’existence de vos doigts et la nécessité d’être bien ferme sur vos appuis. Conscient de vous dérouter un peu, il vous adressera presque immédiatement un sourire complice, histoire de ne plus vous détourner de ce qui va suivre. Car après le séisme sur vos phalanges suivront quelques répliques verbales qui promettent de vous secouer dans vos certitudes. A 51ans, le célèbre aventurier a parcouru le monde sous toutes ses coutures, par l’équateur, les pôles et jusqu’au sommet des 8000 mètres.

A l’occasion des 30 ans du Régent, il a fait escale à Crans-Montana pour donner deux conférences à guichets fermés et évoquer son expédition Pole2Pole et notamment sa traversée de l’Antarctique en solitaire en 57 jours, du jamais vu. Mais plus que des exploits chiffrés, c’est à travers Mike Horn une philosophie de la liberté qui s’exprime. Une vision de la vie qu’il a bien voulu partager avec nous.

Mike Horn, vous voilà en rapide escale en Valais, une parenthèse dans votre expédition qui, après le pôle Sud, doit vous emmener au pôle Nord? 

Mon voilier m’attend à Singapour et j’irai en effet ensuite vers le nord pour traverser le Groenland à pieds. Et puis mes filles en profitent pour me garder un peu dès qu’elles le peuvent. (ndlr: basées à Pully, Annika et Jessica Horn gèrent toute la logistique et la communication pour leur papa).

 


Sur votre profil Twitter, on lit que votre profession est «aventurier» et que votre lieu de vie, c’est «partout». C’est aussi simple? 

J’ai commencé comme aventurier mais je dirais qu’aujourd’hui je suis plutôt dans l’exploration. Pas seulement du monde mais aussi de l’être humain et de ses limites. Au fond, chacun de nous commence par être un aventurier lorsqu’il se met à découvrir le monde qui l’entoure. Explorer, c’est autre chose, il faut des moyens, des infrastructures. On confond un peu trop ces deux mots. Peu de gens veulent explorer mais tout le monde veut vivre une aventure. Une chose est sûre, si vous ne sortez pas de votre zone de confort, c’est comme de l’eau qui stagne, au bout d’un moment ça pue. 

Dans votre tout dernier livre, «Libre!», vous laissez une grande part à ce que ces explorations vous ont apporté plutôt qu’aux récits de celles-ci. Le message compte aujourd’hui davantage?

Les gens sont de moins en moins libres et décident de ne pas prendre le temps. Dire «je n’ai pas le temps» permet de donner de l’importance à ce qu’on fait. Pourtant, j’ai une vraie admiration pour les gens qui vont travailler tous les jours et qui se battent comme je me bats dans mes aventures. 

Vous dites souvent que ce que vous faites est à la portée de tous. Un peu facile, non? 

Je ne dis pas que tout le monde peut traverser l’Antarctique. Et si je me mettais à raconter la complexité des expéditions, je ne ferais plus rêver personne. Mais j’espère que certains se diront que si je suis capable de faire tout ça, ils peuvent se lancer à leur échelle. Cela peut être dans le sport, la culture, la science, tout ce qu’on veut. 

Et vous Mike Horn, vous avez encore du monde à découvrir? 

En neuf ans j’ai accompli treize tours du monde avec mon bateau et trois fois à pied. Je suis allé aux deux pôles, au sommet des «8000», j’ai traversé presque tous les continents, descendu le fleuve Amazone et j’en oublie sûrement. Au fond, vous savez, notre Terre est petite. Elle n’est grande que dans notre imagination. 

 


Sérieusement? Vous vous sentez à l’étroit? 

Disons que j’ai surtout changé ma manière d’aborder les aventures; je ne prends par exemple plus l’avion, ça accélère les choses. Je voyage plus lentement, je vis les choses plus intensément. Nous avons par exemple traversé avec mes filles tous les pays en 4x4 de la Suisse jusqu’au Pakistan quand j’allais au K2. Le moyen de se rendre au but fait partie de l’expédition. 

Vous parlez de prendre le temps mais lors de votre dernière expédition, vous avez traversé l’Antarctique en 56 jours et 22 heures, un record… 

Si je suis allé vite, c’est parce que c’était une course contre ma vie. Je suis parti tard et quand l’hiver commence, tu ne peux pas rester sur ce continent. Les températures baissent jusqu’à -90°. A -30°, ça devenait déjà à peine supportable. 

On est dans le siècle de la vitesse, tout le monde ne parle plus que de record. Vous n’y pensez jamais? 

On se prend au jeu c’est sûr, avec l’urgence et l’excitation du moment. Parfois d’ailleurs, je dois me calmer et je me déteste un peu quand ça arrive. Mais ce n’est jamais l’objectif de départ comme le rappelait d’ailleurs Ueli Steck. Aujourd’hui on n’entend plus que ça; le plus haut, le plus bas, le plus loin. Mais ils n’inventent rien, ils utilisent la connaissance des autres sans vraiment tenter autre chose, ils restent dans une zone contrôlée. Ce qui m’intéresse, c’est d’en sortir, d’aller au-delà. Mais il faut de l’engagement et avoir des cou*****. Aussi, il faut arriver à vendre ton projet à des sponsors. Au contraire de l’Everest qui est devenue une marque, la traversée de l’Antarctique n’intéresse personne, certains savent à peine que c’est au sud. 

Vous faites néanmoins salle comble partout où vous allez… 

Parce que ça fait vingt-cinq ans que je le fais. Pour la traversée de l’Antarctique, 28 millions de personnes m’ont suivi. Parfois, c’était même à la limite du voyeurisme; j’étais seul, sans assistance, j’arrivais trop tard et je risquais de mourir. 

On veut voir la mort mais pourtant quand vous montrez ce squelette à l’écran lors de votre expédition au K2, on a hurlé au scandale… 

C’est tout le paradoxe. Quand tu mets les gens face à la réalité, ils te disent «Comment peux-tu montrer ça?» Et le reste du temps on me dit que je cache la réalité. Je crois qu’ils préfèrent ne pas la voir. 

Côtoyer la mort sans prendre de risques, le paradoxe de l’aventure moderne? 

Exactement. Tout le monde adorerait être Superman mais avec rien dans le pantalon. On veut la sensation mais pas la responsabilité et ça, ça n’existe pas. Tu l’observes tout le temps en montagne. Les gens paient pour y aller mais quand les choses ne se passent pas comme ils l’imaginaient, parce que la montagne est ainsi, ça tourne à la panique, au drame et au scandale dans les médias. 

Il faut donc côtoyer la mort pour se sentir vivant, vivre une vraie aventure? C’est un peu extrême? 

Pas si on assume. On ne joue pas un match, mais notre vie. Les risques, c’est comme des mines qu’on a posées devant toi. Si tu n’essaies pas de les franchir une à une, tu n’avances pas et tu n’es pas libre. A chaque fois que tu pars, tu te confrontes aux mêmes risques mais ton expérience change et tu peux aller un peu plus loin.

 



Les exemples où vous avez failli y rester ne manquent pas. Vous vous dites jamais que vous êtes allé trop loin? 

C’est seulement après coup qu’on se dit que c’était limite. Sur le moment, on essaie de s’en sortir, on prend des décisions, la peur doit être spécifique, jamais omniprésente. C’est comme dans la mer, c’est une histoire de profondeur. L’eau, je l’accepte juste sous mon nez, pas au-dessus. Depuis le décès de mon épouse Cathy en 2015, c’est devenu encore plus important. Pour mes filles. 

Votre famille vous a toujours encouragé mais vous n’avez jamais eu le sentiment d’être égoïste? 

Quand j’ai commencé mes aventures, on m’a énormément critiqué. On m’a traité de sale égoïste. Mais ceux-là ne savaient pas à quel point notre famille est soudée, comme elle s’est construite. Ils ne savaient rien de notre vie, de notre dynamique unique. En fait, je pense que c’est leurs propres vies qu’ils critiquaient à travers moi. Ma famille, c’est mon assurance vie. Je voulais rentrer vivant pour elle. Quand on a ça en tête, c’est plus fort que tout le reste. 

Mais vous ne vous fixez pas de limites? 

Les limites, on les découvre au fur et à mesure qu’on les repousse. Sans ça, tu n’es jamais complètement vivant et malheureusement tu deviens un peu addict à l’adrénaline. Mais c’est parce que la vie de tous les jours est banale. Quand tu rentres chez toi, tu entends des gens qui parlent d’un drame parce que la voiture qu’ils ont commandée est noire au lieu d’être grise. 

Lors de votre passage à Lausanne en octobre, «L’Illustré» titrait votre interview par «J’ai envie de tout quitter». Vous partagiez l’article sur Facebook avec cette mention «Et de tout recommencer». Vous en êtes là? 

C’est l’histoire de ma vie. Je vivais bien en Afrique du Sud après mes études et j’ai décidé de tout quitter, de venir en Suisse avec rien. J’avais atteint ma zone de confort. Quand j’ai perdu ma femme, il a fallu trouver des raisons d’avancer, de recommencer. J’avais vécu tellement de choses qui m’avaient tellement apporté. Il me fallait un nouveau challenge. C’est la seule solution quand tu vis la vie à fond, il faut du changement et quand on est seul, on ne manque pas d’idées. 

C’est pour cela que vous avez lâché votre maison et que vous occupez le canapé de vos filles?
Pourquoi s’attacher à des choses? Cela ne donne pas d’ailes. Ce sont mes filles, mes ailes. 

Vous êtes donc heureux? 

Heureux... et libre à la fois.

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