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L'insaisissable exploit de Kilian Jornet dans les yeux d'himalayistes valaisans

Les himalayistes valaisans Jean Troillet et Frédéric Roux commentent les deux ascensions de Kilian Jornet à l’Everest. Critiques avec la notion de «record» en montagne, ils restent admiratifs face à cette hallucinante performance.

02 juin 2017, 17:50
/ Màj. le 02 juin 2017 à 18:40
Kilian Jornet est monté au sommet de l'Everest deux fois en six jours, sans oxygène et à une vitesse élevée. Un exploit hors-norme.

«Extraterrestre, record, exploit surhumain, performance hallucinante.» Les superlatifs s’enchaînent depuis la semaine dernière sur les unes de toute la presse mondiale pour qualifier la double ascension éclair de l’Everest par le Catalan Kilian Jornet. Deux fois l’Everest. Deux fois le Toit du Monde. Deux fois sans oxygène, sans cordes fixes, sans nuit dans les camps d’altitude, sans porteurs. Ces mots s’entassent mais sait-on ce qu’ils signifient vraiment? 

La face nord de L'Everest. C'est par l'arête à gauche que Kilian Jornet a réalisé ses deux ascensions, soit la voie dite "normale" du côté tibétain du sommet. © SUMMITS OF MY LIFE

Un peu de statistique, d’abord. Avant le début de cette saison, ils n’étaient que 166 à avoir réalisé cette ascension sans bouteille d’oxygène, contre plus de 4000 avec, pour près de 14 000 tentatives. Quant à la double ascension sans oxygène lors de la même saison, elle n’était, selon nos confrères de «Libération», le fait que de cinq sherpas népalais. Signe s’il en fallait de l’extrême difficulté d’un tel exploit les 21 et 27 mai dernier. Une aventure qui vient boucler le projet du prodige du trail initié il y a cinq ans, consistant à gravir de la manière la plus rapide et légère possible, les sommets les plus emblématiques du globe.

Les défis de Kilian Jornet résumé en une vidéo:

 

«A 8000, ton corps et ta tête ramassent»

Mais plus que des statistiques, les mots de ceux qui ont gravi ces 8848 mètres dans un style comparable disent davantage de l’exploit de Kilian Jornet. A commencer par le regard celui qui est sans doute le plus grand nom de l’himalayisme en Valais, un certain Jean Troillet. L’homme aux dix «8000» conquis dans le plus pur des styles alpins, léger et rapide, ne cache pas son admiration face à la performance du Catalan. «C’est exceptionnel, il y a du rêve dans ce qu’il fait et il a des capacités hors-norme pour y arriver.» 

A lire aussi >>> Kilian Jornet remonte au sommet de l'Everest en moins d'une semaine

Et signe que les mots manquent pour expliquer ce que représente de remonter au sommet à peine cinq jours après une première ascension, l’alpiniste de La Fouly lâche: «Je crois qu’il avait simplement envie de le faire.» L’explication paraît peut-être réductrice mais en dit en fait beaucoup. Un autre himalayiste valaisan, Frédéric Roux, tente d’étayer le propos. «Quand tu grimpes à cette altitude, ton corps il ramasse. C’est tellement intense physiquement et psychologiquement d’atteindre le sommet d’un 8000 mètres que lorsque tu es redescendu vivant, tu n’as plus qu’une envie, c'est rentrer à la maison.»  

On dit d’ailleurs que le temps passé à 8000 mètres, c’est un temps où le corps et la tête meurent. Et Frédéric Roux d’être stupéfait, plus que par la rapidité, par la volonté de fer et la capacité de récupération de Kilian Jornet pour réaliser cette double performance. 

A 7500 mètres lors de sa première tentative bouclée en 26 heures, Kilian Jornet a souffert de maux d'estomac et a dû faire plusieurs pauses pour vomir. Ce 21 mai 2017, il était parti du monastère de Rongbuk, à 5100 mètres. Personne avant lui n'était parti d'aussi loin. © SUMMITS OF MY LIFE

Physiquement hors-norme

Frédéric Roux a emprunté cette même voie, il y a près de vingt ans, et reste effaré par la vitesse de Kilian Jornet. Il avait alors passé une nuit dans un camp à 7900 mètres avant d’atteindre le sommet le lendemain, ce qui constitue déjà une ascension éclair sans oxygène. Les autres expéditions dorment jusqu’à quatre fois sur la montagne depuis le camp de base avancé à 6500 mètres.

>>> A lire aussi : Kilian Jornet "avale" l'Everest en 26 heures, sans oxygène ni cordes fixes.

Kilian Jornet, lui, a mis 17 heures, cinq jours après une première épopée de 26 heures lorsqu’il était parti depuis le monastère de Rongbuk, à 5100 mètres. Personne n’était jamais parti d’aussi loin – près de 4000 mètres plus bas que le sommet (!) – et c’est donc une nouvelle référence en la matière. «Physiquement, c’est hors-norme», lâche encore l’alpiniste du Levron. 

Les impressions de Kilian Jornet après sa double ascension: 

 

Un «record» impossible à comparer

Pour autant, en admettant que le chronomètre ait un sens en montagne, peut-on vraiment parler de record sur un itinéraire d'une telle ampleur avec des conditions incomparables aux Alpes? Car en allant plus loin que le buzz médiatique très bien orchestré, Kilian Jornet n’a statistiquement pas «battu» de record. Les seules marques existantes depuis le camp de base avancé sont celles de l’Italien Hans Kammerlander en 1996 et de l’Autrichien Christian Stangl dix ans plus tard qui ont respectivement avalé la voie en 16 h 45 et 16 h 42. 

Depuis le camp de base avancé, Kilian Jornet a mis 17 heures pour atteindre le sommet. Les expéditions traditionnelles mettent quatre à cinq jours. © SUMMITS OF MY LIFE

Reste que la différence semble bien peu de chose sur une telle montagne. «C’est tout simplement impossible de comparer», lance Jean Troillet. Frédéric Roux abonde dans la même direction. «A 8000 mètres, tout est ressenti à puissance dix. Du vent, une température légèrement plus basse, plus de neige, et on est dans un autre monde.» 

Le chrono? «Aucun sens»

Une glorification du chronomètre qui dérange tout autant Jean Troillet, faisant passer l’ascension au second plan. «Combien d’autres exploits ne connaissons-nous pas? Lorsque par exemple, les sherpas multiplient les allers-retours pour secourir des alpinistes en détresse. Ça ne fait aucun sens sur une montagne pareil.» L’homme est bien placé, lui qui détient, presque sans le vouloir, le record de vitesse sur cette montagne par sa face nord dans une voie jamais répétée et dans un style jamais imité en 43 heures aller-retour avec un certain Erhard Loretan. Un monument dans l’histoire de la conquête de l’Himalaya érigé en 1986. Il n’a pas pris une ride, mais ne parlez pas de vitesse. «Le mot qui a été le plus utilisé pour qualifier cette ascension a été «élégance», et je crois que c’était vraiment notre idée.»

A lire aussi >>> Avant l'Everest, la folle aventure de Kilian Jornet

Un reflet des pionniers

Alors dans quelle logique de l’himalayisme s’inscrit l’exploit de Jornet et du regretté Ueli Steck qui prévoyait lui aussi d’enchaîner deux 8000 mètres sans redescendre, l’Everest et le Lhotse? Assiste-t-on, comme le souligne le Catalan, à «l’ouverture de nouvelles possibilités»? Est-ce vraiment nouveau? Séduisant ou dérangeant? Jean Troillet relativise. «Finalement, leur approche n’est pas si différente de la nôtre. Si je devais pointer du doigt un vrai changement, ce serait plutôt celui du tourisme de masse sur les pentes de l’Everest.» 

Les images au coeur de l'ascension de Kilian Jornet, par son compagnon de cordée, le réalisateur Sébastien Montaz-Rosset:

 

Frédéric Roux reconnaît pour sa part une hausse du niveau physique et de la préparation, mais partage pleinement l’avis de Jean Troillet. «Ces alpinistes redonnent aussi un sens à ce que ça représente de gravir le Toit du monde dans ce style, plutôt que porté par de l’oxygène et tracté par des sherpas. Chacun fait ce qu’il veut mais j’ai énormément de respect pour l’approche de Kilian, qu’importe qu’on parle de record.»D’une certaine manière, sur une voie surfréquentée (ils étaient 150 à atteindre le sommet le même jour que lui), le double exploit de Kilian Jornet aura été à la hauteur de l’Everest, d’une insaissisable élégance.

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