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Architecture et patrimoine du XXe siècle en Valais: ouvrages d’art emblématiques d’une grande époque

«Le Nouvelliste» propose une série de quatre épisodes sur les ouvrages d’art, l’art sacré, les constructions en lien avec le tourisme et la santé, l’habitat individuel. Focus sur les ponts, barrages et centrales hydroélectriques pour ce premier rendez-vous.

12 juin 2020, 21:00
L’usine hydroélectrique de Chandoline (Daniele Buzzi, 1934) à Sion est remarquable pour la simplicité et l’élégance de ses formes. Un chef-d’œuvre moderne de l’époque des barrages.*

Série réalisée en collaboration avec le Service cantonal de l’immobilier et du patrimoine (SIP)

En Valais, le contexte du XXe siècle est celui d’une société en pleine mutation, appelée à basculer d’une ruralité ancestrale à l’ère de l’industrialisation. Ce virage s’illustre progressivement par la réalisation de grands ouvrages d’arts.

«Toute proportion gardée, chaque époque témoigne d’un même genre de génie architectural», dixit l’architecte cantonal Philippe Venetz. «Et il est important de sensibiliser la population à cette dimension patrimoniale et à l’intérêt de sa sauvegarde.»

Ponts, barrages, centrales hydroélectriques reflètent l’intelligence et la haute maîtrise technique des ingénieurs du siècle dernier. En s’inspirant d’influences internationales et en adoptant des matériaux modernes, ils ont concrétisé cette nouvelle réalité dans la topographie complexe et alpestre de notre canton.  

Le pont de Gueuroz (Alexandre Sarrasin 1934) sur les gorges du Trient marque l’apogée des ponts-arcs de cet ingénieur. L’arche, composée de deux arcs parallèles, d’une ouverture de 98,5 mètres, surplombe le torrent de 190 mètres.* ACM/EPFL – fonds Perrochet/Pleinciel SA.

 

Dès 1920, une vague de tourisme d’après-guerre déferle dans nos vallées. «Dans ce paysage déjà traversé par la ligne ferroviaire du Simplon, le développement de voies d’accès, routes carrossables et autres liaisons ferroviaires, devient un enjeu majeur», souligne le professeur Eugen Brühwiler, ingénieur civil, professeur EPFL et directeur du laboratoire de maintenance et de sécurité des ouvrages existants en Suisse.

Viennent ensuite les années 50/60, marquées par la nécessité de produire de l’énergie, d’élever des barrages et de construire des usines hydroélectriques. «Le Valais offre son paysage pour répondre à cette demande en électricité au niveau suisse et même européen.»

Une deuxième vague touristique dans années 60/70 confirme la nécessité d’améliorer les axes routiers. L’autoroute du Rhône est planifiée dès 1960.

L’ère du béton et du métal

Dans cette atmosphère de changement et de modernisation, l’arrivée du béton armé est déterminante. L’ingénieur Alexandre Sarrasin, originaire de Saint-Maurice, réalise ce que le professeur Eugen Brühwiler qualifie de «chefs-d’œuvre significatifs», dont le pont de Gueuroz en 1930 dans les gorges du Trient.

Les constructions métalliques se développent parallèlement sous l’égide d’entreprises comme Giovanola Frères à Monthey ou Zwahlen et Mayr à Aigle. Entre béton et métal, la rivalité est de taille et perdure.

Le pont «tout métal» relevant plutôt d’ouvrages de très grande envergure tels que ceux érigés aux Etats-Unis, les ponts mixtes (poutres d’acier et dalles de roulement en béton) sont privilégiés en Valais. Le Pont sur la Dala reliant Varone et Loèche en est l’un des fleurons les plus impressionnants.

La première centrale thermique de Suisse (Atelier des architectes associés, 1965) se caractérise par l’intégration audacieuse de ses volumes sur un éperon rocheux à Chavalon-sur-Vouvry. * Etat Valais/SIP – © Michel Bonvin

 

«Au-delà de leur diversité, les ouvrages d’art et usines de cette époque pionnière témoignent d’une véritable unité de cohérence en termes de sobriété, d’harmonie, d’intégration dans le paysage, dans un esprit d’économie aussi», ajoute le professeur Eugen Brühwiler.

«Et avec audace. Le pont de Ganter en béton armé précontraint de Christian Menn sur la route du col du Simplon est l’ouvrage valaisan le plus reconnu au niveau international.» 

Barrages colossaux

Que l’on soit ou non désorienté par la suprématie du béton au cours du XXe siècle, le professeur plaide en sa faveur: «Il est heureux que pareils ouvrages, dont les barrages, aient été construits au XXe siècle car on ne pourrait plus les réaliser aussi facilement aujourd’hui.»

Plus haut barrage-poids du monde avec ses 285 m, la Grande Dixence (Alfred Stucky, 1950-1961) est une puissante construction en béton qui résulte d’un chantier titanesque dans le cadre hostile d’un fond de vallée. * Grande Dixence SA – © Heinz Preisig

 

Deux types de barrages sont implantés dans nos vallées. Le barrage-voûte, par exemple, à Emosson ou Mauvoisin, plus économique en béton, et dont la spectaculaire forme arquée permet de reporter la poussée de l’eau dans les rochers aux flancs de la montagne.

Le barrage-poids de la Grande Dixence utilise en revanche le poids du béton pour retenir l’eau et assurer sa stabilité. Jusqu’à ce jour, c’est le plus haut barrage-poids au monde.

Durabilité et sécurité  

Les ouvrages d’art du XXe siècle ne sont pas figuratifs ou témoins nostalgiques d’une époque révolue mais essentiels et efficients à plus d’un titre pour notre société actuelle. La topographie n’offrant plus de vallées sauvages pour ériger de nouveaux barrages, l’optimalisation et l’amélioration des infrastructures existantes prédominent désormais.

Petit complexe hydroélectrique sur plan rectangulaire, l’usine hydroélectrique Mottec (André Perraudin 1958) dans le val d’Anniviers affiche modestie et élégance dans sa volumétrie et son architecture. * Etat Valais/SIP – © Michel Bonvin

 

«Concrètement, il s’agit d’intégrer et de faire correspondre les usines hydroélectriques aux besoins tangibles de production», explique le professeur Eugen Brühwiler. «Tout en préservant leur enveloppe architecturale. Cette exigence ne complique rien, c’est juste un paramètre essentiel».

Le chantier de la centrale de pompage-turbinage de Nant de Drance, située entre le barrage du Vieux-Emosson en amont et celui d’Emosson en aval, illustre bien ce propos. Nant de Drance pompera quand la demande et les prix de l’électricité seront bas et turbinera quand ils seront hauts.

«L’ancienne centrale a été complétée, modernisée et couplée à la nouvelle centrale sise dans la montagne. Cette approche va de pair avec le développement durable: augmenter le rendement en respectant ce que l’on possède déjà.»

Stabiliser les dégradations

La durabilité et la sécurité sont au cœur de la réflexion sur la rénovation des ouvrages d’art du XXe siècle. «Nous rencontrons actuellement des problèmes de fissures sur les ouvrages d’art en béton, résultant d’une réaction alcali/granulat, en lien avec l’origine des agrégats locaux utilisés lors de la fabrication des bétons. Ce phénomène est inhérent au béton armé en raison de l’exposition des ponts et murs aux eaux de pluie, en plus de la corrosion de l’acier présent dans le béton armé, induite notamment par les sels de déverglaçage répandus sur nos routes.»

Ce réservoir (Alexandre Sarrasin, 1926) représente une véritable innovation au moment de sa création. Ses voûtes en béton gunité de 12 cm d’épaisseur se déploient sur le plateau des Marécottes telle une délicate dentelle. * ACM/EPFL – Fonds Alexandre Sarrasin

 

L’EPFL a mis au point une nouvelle génération de matériau, le composite cimentaire fibré ultraperformant (BFUP), qui permet de renforcer et prolonger la durée de vie des ouvrages en béton existants, comme plusieurs ponts en Valais, représentatifs de la grande époque de 1960 à 80.

Un autre exemple avec le bassin de compensation des Marécottes. «Il s’agit ici de stabiliser la progression des dégâts usuels du béton armé, principalement par l’intervention de technologies de protection de surface.»

«En discutant avec mes étudiants», conclut le professeur de l’EPFL, «j’entends bien que cet intérêt pour la préservation des ouvrages d’art du XXe n’est pas toujours compréhensible et évident. Mais pour moi, la question ne se pose même pas. Ils sont le reflet d’une grande époque et un héritage que nous devons valoriser avec une ingénierie moderne.»

* Propos tirés de «L’Architecture du 20e siècle en Valais 1920-1970». Sous la direction de l’Etat du Valais en collaboration avec les Archives de la construction moderne, 2014. 

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