Assemblée nationale incendiée, télévision publique prise d'assaut, violences en province: le Burkina Faso s'est enflammé jeudi contre le régime de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a annoncé l'envoi d'un émissaire pour tenter de mettre fin aux violences.
Dans la tourmente, le gouvernement annulait à la mi-journée le vote du projet de révision constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres. Peu après, le président a prononcé la dissolution du gouvernement et décrété l'état d'urgence.
Dans un communiqué, Blaise Compaoré ajoute qu'il va ouvrir des négociations avec l'opposition, à qui il demande de mettre fin aux manifestations, rapporte une radio locale.
Rôle clef
Partenaires du Burkina Faso - qui joue un rôle clef dans une zone sahélienne instable - Paris et Washington sont montés au créneau. La France, ex-puissance coloniale, a plaidé pour un "retour au calme", et les Etats-Unis ont exprimé leur "vive inquiétude".
Le général en retraite Kouamé Lougué, à qui des dizaines de milliers de manifestants demandaient de prendre le pouvoir, rencontrait dans l'après-midi l'état-major des armées. Il a lui-même été chef d'état-major des armées et ministre de la Défense jusqu'en 2003, avant d'être limogé.
Ouagadougou dans le chaos
Pour le régime en place depuis le putsch de 1987, c'est la crise la plus grave depuis la vague de mutineries qui avait fait trembler le pouvoir en 2011. Des manifestations d'une telle ampleur contre les autorités sont rarissimes en Afrique subsaharienne.
La capitale Ouagadougou a sombré dans le chaos jeudi. Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles, tuant trois manifestants qui tentaient d'attaquer le domicile du frère du président, rapportent les services d'urgence.
Tirer les conséquences
"Le président doit tirer les conséquences" des manifestations, a lancé peu avant Bénéwendé Sankara, l'un des leaders de l'opposition, appelant la population à "marcher sur le Parlement".
Les forces de l'ordre ont brièvement tenté d'arrêter les manifestants en tirant des gaz lacrymogènes, puis ils ont battu en retraite. Plus d'un millier de jeunes ont réussi à pénétrer dans le bâtiment et à le saccager, aux cris de "Libérez Kosyam" (le palais présidentiel).
Une partie de l'Assemblée nationale a été ravagée par les flammes. D'épaisses fumées noires s'échappaient des fenêtres brisées.
La télévision d'Etat mise à sac
Aux abords de la présidence, la tension était palpable. Plusieurs centaines de manifestants faisaient face aux soldats de la garde présidentielle, qui ont effectué des tirs de sommation au-dessus des protestataires.
Autre symbole du pouvoir attaqué: la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB). Plusieurs centaines d'individus sont entrés dans les locaux où ils ont pillé le matériel avant de quitter les lieux. Les transmissions ont été coupées.
Des troubles ont également été signalés à Bobo Dioulasso, deuxième ville du pays (sud-ouest). La mairie et le siège du parti présidentiel y ont été incendiés, de même que le domicile du maire (pro régime) et celui du porte-parole du gouvernement Alain Edouard Traoré, selon des témoins.
Au pouvoir depuis très longtemps
Le Burkina a basculé dans la crise avec l'annonce, le 21 octobre, d'un projet de révision constitutionnelle portant de deux à trois le nombre maximal de quinquennats présidentiels.
Arrivé aux affaires il y a 27 ans, le président Blaise Compaoré doit achever l'an prochain son dernier mandat, après deux septennats (1992-2005) et deux quinquennats (2005-2015).
Lui qui a déjà modifié deux fois l'article 37 de la Loi fondamentale (en 1997 et 2000) pour se maintenir au pouvoir, défend la légalité de sa démarche pour cette troisième retouche. Il restait silencieux jeudi.
L'opposition craint que ce changement ne conduise le chef de l'Etat, élu quatre fois avec des scores soviétiques, à accomplir non pas un mais trois mandats supplémentaires, lui garantissant 15 années de plus au pouvoir.