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Affaire Perinçek: la CEDH devra trancher entre la liberté d'expression et l'antiracisme

La Grande Chambre Cour européenne des droits de l'homme s'est penchée ce mercredi sur le cas opposant la justice vaudoise à Dogu Perinçek, un nationaliste turc qui avait nié l'existence du génocide arménien, lors d'une conférence en 2005.

28 janv. 2015, 14:49
Le procès de Dogu Perinçek est essentiel pour la Suisse et la barrière entre la liberté d'expression et la norme antiraciste.

La Grande Chambre de la Cour européenne des droits l'homme (CEDH) a réexaminé mercredi l'affaire Perinçek contre la Suisse. Comme dernière instance, elle devra trancher entre la norme antiraciste invoquée par Berne à propos de la négation du génocide arménien et la liberté d'expression soutenue par le Turc et Ankara.

Enumération d'articles de droit, envolées sur la liberté d'expression, émotions eu égard aux atrocités commises contre les Arméniens en 1915: l'audience de la Cour a donné une impression de foisonnement presque chaotique. Mais, malgré ce sentiment d'éparpillement, l'enjeu est de taille.

Condamné en 2007 par la justice vaudoise pour discrimination raciale parce qu'il avait qualifié le génocide arménien de "mensonge international", Dogu Perinçek a obtenu gain de cause en 2013 devant la Cour de Strasbourg, celle-ci estimant que sa liberté d'expression avait été violée.

Large intérêt

Face à ce désaveu, la Suisse a demandé le réexamen du cas devant l'instance ultime, la Grande Chambre de la CEDH. Si l'affaire est complexe, elle n'en déchaîne pas moins les passions. Environ 40 journalistes et 400 personnes étaient inscrites pour suivre l'audience, sans compter les nombreux partisans venus manifester devant le bâtiment.

Dogu Perinçek et son avocat ont été les premiers à prendre la parole. Le chef du Parti des travailleurs de Turquie (extrême gauche) a affirmé qu'il n'avait jamais dit "un seul mot de haine, de ressentiment contre les Arméniens". Il a mis au défi quiconque de démontrer qu'il était un raciste: "Le racisme, c'est une honte".

Argumentation scientifique

A ses yeux, l'Empire ottoman "n'a pas eu l'intention de supprimer totalement la population arménienne". Dogu Perinçek a dit "partager" ces souffrances face aux massacres. Ses propos condamnés à Lausanne étaient basés sur une argumentation scientifique, avec des dizaines de kilos de documents. Ceux qui ne partagent pas son point de vue sur l'emploi du terme génocide doivent rester à ce niveau de recherches, mais de toute manière la liberté d'expression doit primer.

Face à ce discours, souvent très vif, la Suisse a répliqué de manière extrêmement juridique, laissant nombre d'auditeurs perdus dans les spécificités helvétiques. Le président de la Cour, Dean Spielmann, a même dû intervenir pour signaler à la délégation qu'elle avait dépassé son temps de parole.

Intention haineuse

Pour Berne et son agent à la CEDH, Frank Schürmann, Dogu Perinçek et ses interventions en Suisse doivent être compris dans leur contexte et dans leur entier. Le nationaliste turc n'a jamais voulu faire progresser le débat historique ou juridique en niant le génocide arménien. Il faut ajouter "l'intention haineuse".

Frank Schürmann a lu quelques passages "pertinents" des déclarations de Dogu Perinçek. "Le génocide c'est une chose, le massacre de quelques Arméniens, c'en est une autre", a-t-il cité comme exemple d'atteinte à la dignité de l'être humain. La norme suisse contre le racisme n'est pas là pour protéger la vérité historique, mais bien la paix publique.

Discuter librement

Pour les représentants d'Ankara, le débat sur ce qui s'est passé en 1915 est "en cours" et il doit pouvoir être mené "librement". Il n'y avait pas de besoin social impérieux pour la Suisse de s'en prendre à Dogu Perinçek, qui ne menaçait personne et certainement pas l'ordre public.

Défenseurs mandatés par l'Arménie, l'avocat Geoffrey Robertson et son assistante Amal Clooney ont notamment voulu corriger "les graves erreurs" présentes dans le premier jugement de la Cour. Selon eux, il mettait en doute le génocide arménien en réservant cette qualification à la Shoah.

Remettre les pendules à l'heure

Qu'il s'agisse du Rwanda, de la Bosnie ou de l'Arménie, les criminels à l'oeuvre ont aussi voulu rayer de la carte des populations, même s'il y a eu moins de morts qu'en 39-45. Si l'on réserve le terme de génocide à la Shoah, on relativise les autres massacres systématiques ou les déportations planifiées. Avec votre jugement ultime, "vous devez remettre les pendules à l'heure", a lancé Amal Clooney, l'épouse de l'acteur américain qui a suscité la bousculade médiatique.

Le jugement sera rendu à une date ultérieure non précisée.

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