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Quand Christophe subjuguait le Crochetan

Le mythe nocturne de la chanson française s'est éteint ce jeudi des suites d'une maladie pulmonaire. Son épouse Véronique Bevilacqua n'a pas mentionné le Covid-19. En 2016, il subjuguait et surprenait au théâtre du Crochetan. "Le Nouvelliste" l'avait rencontré. Retour dans le temps.

17 avr. 2020, 10:41
Christophe, icône de la chanson française, occupait une place à part dans le panorama musical francophone.

Un tapis électro saturé, monocorde, hérissé d’aspérités, de matières sonores agglomérées, tranchantes à leur crête. «Défini tivement», titre inaugural de son dernier album «Les vestiges du chaos», lance aussi le concert événement – en exclusivité suisse - de Christophe au Théâtre du Crochetan. La voix aérienne et fragile peine encore à émerger du foisonnement qui sort des enceintes. Ici comme en studio, Christophe est un modeleur de son et d’espace et il faut tailler dans la masse, trouver les angles, parvenir à faire surnager cette mélancolie diffuse, sixties, acidulée, qui traverse toute l’oeuvre du personnage, des «Mots bleus» aux plus récents «Lou» ou «Dangereuse».

 

 

Réactions tranchées

Un titre, deux titres, trois titres... Dans une esthétique de néon à la Nicolas Winding Refn, une puissance percussive qui tape peut-être un peu fort dans les bois tendres de la salle, le chanteur infuse la beauté troublante de son chaos intérieur. La mélodie, la ligne claire, et en dessous, le vertige des sens, les marées, le fracas des styles et des époques.

Désarçonnés, quelques spectateurs qui s’attendaient sans doute à une prestation plus tranquille prennent la tangente. Et manquent la grâce de rappels où l’homme reste seul en scène, improvise au piano, revisite ses classiques en mettant en lumière ses superbes musiciens l’un après l’autre.

L’obsession de la recherche

Quand le concert s’achève, la foule se disperse, séduite, interloquée, avec le sentiment d’avoir assisté à un moment à part, appartenant plus à l’onirique qu’au réel. En coulisses, Christophe, volubile, presque cabotin, se réjouit de l’impact suscité. «On sent vite la dynamique des salles. J’ai pu percevoir qu’une partie des gens était déstabilisée par le nouvel album. J’aime bien ça...» Ne pas être là où on peut l’attendre...

Christophe a gagné son statut unique dans le panorama de la chanson en cultivant un goût de l’expérimentation, de la recherche, qui peut confiner à l’obsession. Et finalement, son aura, sa légende, il s’en tape comme de son premier clavier. «Je suis trop dans le désir de nouveauté pour m’auto-analyser. Je vis au jour le jour, au gré de mes rendez-vous. Là, je dois voir des gens de chez Moog (ndlr: marque de synthétiseurs analogiques) pour faire des tests de nouveaux claviers. C’est ça qui m’excite... J’aurais pu rester un yéyé, mais j’ai évolué et, aujourd’hui, je suis compris par des gens qui aiment la musique et sont curieux. C’est ça qui m’intéresse.»

Des vestiges bien vivants

Il est minuit passé, la discussion avance, ponctuée par les «comment» incessants d’un artiste qui rassemble des pensées qui semblent jaillir en tous sens. Et on a presque la sensation de saisir fugacement la mécanique qui fait avancer Christophe. Mettre en formes les «Vestiges du chaos»... «Pour moi, ce titre évoque mon «magma créatif». En fait, j’écris, je compose tout le temps, partout. J’étais au Liban, au Vietnam, à Tanger, en Grèce, et j’ai collecté de la matière, des mots ou de l’audio. Et à mon retour chez moi, j’ai rassemblé mes «gimmicks», ces «Vestiges du chaos»... Je n’arrête pas ma vie pour faire un disque. Je fais un disque parce que soudain toute cette matière récoltée, conjuguée, me donne l’apparence d’un album possible.»

A sa façon, Christophe synthétise à 71 ans l’environnement médiatique et technologique actuel. Les données suspendues dans l’air, accessibles à tout moment, téléchargeables, compilables, dématérialisées, rematérialisées. «C’est vrai, peut-être, acquiesce-t-il. Mais pour certaines choses, ces facilités-là amoindrissent la créativité. Moi, j’ai avancé avec la technologie, mais en l’utilisant à ma manière. Toujours à ma manière...»

Indomptable oiseau de nuit

Sa manière... Maître de ce qu’il nomme sa «création intime» ou son «fouillis», Christophe a bien failli saborder son dernier album que le processus de création emmenait trop loin de sa vision. «A un moment, j’ai tout envoyé chier, ouais. On perdait l’essence des maquettes et je ne me voyais plus chanter sur ces morceaux. Je ne peux chanter que sur mes sons, mes «gimmicks». C’est ma drogue...» Farouche, indomptable, sensible, Christophe a quelque chose d’un animal nocturne qui fuirait les lumières trop appuyées.

La discussion s’achève, minuit trente, Christophe se lève, prend congé. La nuit est encore jeune. Lui aussi.

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