Le Parlement a fait le choix de la désescalade avec l’Union européenne en acceptant de débloquer jeudi sans condition le milliard de cohésion, deuxième du genre. Cet argent (1,3 milliard sur dix ans en réalité) sert à financer des projets dans les pays les moins prospères de l’UE, à l’Est, dans le domaine de la formation professionnelle notamment. C’est une contribution de la Suisse à la construction européenne en échange de sa participation au marché commun.

Il y a deux ans, le Parlement avait conditionné le versement de ce milliard au renoncement par Bruxelles à toute mesure discriminatoire à l’encontre de la Suisse. C’était une réaction d’humeur au refus par l’UE de reconnaître l’équivalence boursière, faute d’avancée sur l’accord-cadre institutionnel.

«Eviter un nouvel affront»

L’abandon définitif fin mai par le Conseil fédéral des négociations autour de l’accord-cadre a changé la donne. «Le problème est que ce scénario n’a pas été envisagé», a résumé jeudi matin Olivier Français au Conseil des Etats. «On a conditionné une décision à un succès. Aujourd’hui, on doit gérer un échec.» Pour le libéral-radical vaudois, il est temps d’arrêter de voir dans cette histoire le combat de David contre Goliath et retourner à un partenariat avec l’Europe.

Il est plus que nécessaire que la Suisse fasse un geste d’apaisement.

Carlo Sommaruga, socialiste genevois

Une vision que partage le socialiste genevois Carlo Sommaruga: «Après des années de tergiversations dans les négociations autour de l’accord-cadre, la rupture abrupte de celles-ci de manière unilatérale, il est plus que nécessaire que la Suisse fasse un geste d’apaisement.»

De même pour Pirmin Bischof, c’est clairement à la Suisse de faire le prochain pas de rapprochement. Et le centriste soleurois d’avertir ses collègues qu’un refus du déblocage du milliard de cohésion serait perçu comme un nouvel affront par Bruxelles.

Un argument qui n’a pas suffi à convaincre tout le monde, jusqu’au sein de son groupe. Quelques voix centristes sont venues en effet s’ajouter à celles de l’UDC pour ne pas débloquer l’argent. Ainsi, pour Daniel Fässler (centre, AI), il en va de la crédibilité de la Suisse de maintenir la condition posée il y a deux ans, «sinon cela signifie que nous capitulons devant la politique de puissance de l’UE». De même, pour Heidi Z’Graggen (centre, UR), c’est une question de «fiabilité» et de «franchise».

Céder sans condition aux pressions, c’est montrer que nos genoux tremblent.

Marco Chiesa, président de l’UDC

A l’UDC, le ton est plus virulent. «Céder sans condition aux pressions, c’est montrer que nos genoux tremblent et que nous sommes prêts à renoncer à notre indépendance et à notre souveraineté», a objecté son président Marco Chiesa. Pour le Tessinois, la Suisse est ainsi «prête à se soumettre à la politique colonialiste de Bruxelles».

Pour l’indépendant Thomas Minder, «le Conseil fédéral joue au poker en espérant que les relations avec l’UE se normalisent». Pour le Schaffhousois, le déblocage du milliard de cohésion n’offre aucune garantie en ce sens et répond à une mauvaise tactique de négociations.

Le Conseil des Etats a néanmoins accepté à une large majorité hier matin ce déblocage (30 voix à 9). Le Conseil national l’a également approuvé vendredi, tard dans la soirée, par 131 voix contre 55 et une abstention, dans une ambiance électrique.

Quand on donne de l’argent à un maître chanteur, il continue à vous faire chanter.

Roger Köppel (UDC, ZH)

C’est Roger Köppel (UDC, ZH) qui a mené la fronde contre le déblocage, dénonçant un «racket caractérisé». «Quand on donne de l’argent à un maître chanteur, il continue à vous faire chanter», a lancé l’éditeur de la «Weltwoche». Avant d’user d’une autre métaphore: «Quand on nourrit un crocodile, il finit par vous dévorer.»

De son côté, Yves Nidegger (UDC, GE) a proposé, plutôt que de payer «ce tribut» à l’UE, de consacrer ce montant à l’assainissement de l’AVS. Une manœuvre de diversion rejetée par 135 voix contre 53.

Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a plaidé avec vigueur pour ce déblocage: «Il faut insuffler une nouvelle dynamique positive aux relations avec l’UE et briser la spirale négative des liens infondés entre des dossiers différents.»

Soutien aux étudiants

A noter que certains voulaient assortir ce déblocage d’une condition posée au Conseil fédéral: le charger de présenter d’ici décembre un message au parlement relatif au financement de la participation de la Suisse à Erasmus+, programme européen d’échanges estudiantins. Le Conseil national a préféré un autre moyen de pression, en adoptant hier matin une motion en ce sens, par 131 voix contre 48. Le gouvernement traîne les pieds dans ce dossier en arguant qu’il attend que Bruxelles adopte un mandat de négociation.

Suisse-UE: une commission refuse de doubler le milliard de cohésion

La commission des finances du National a rejeté ce lundi la proposition de verser près de 2 milliards de contribution à la cohésion de l’Union européenne.