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Le conseiller d'Etat Jean-Michel Cina s'en va: "Je quitte ma fonction sans être ni usé, ni frustré"

Jean-Michel Cina ne sera plus conseiller d'Etat à la fin de cette semaine, mais s'apprête à devenir président de la SSR. Il a donné lundi sa dernière conférence de presse de politicien à Salquenen. Là où tout a commencé, en 1993, lorsqu’il devenait président de commune. Il ouvre son livre de souvenirs de douze ans de mandat passionnés.

24 avr. 2017, 14:18
/ Màj. le 24 avr. 2017 à 17:00
Jean-Michel Cina quitte la politique valaisanne "ni usé, ni frustré".

Grand. Baraqué. Jean-Michel Cina a toujours eu le physique d’un sportif. Du footballeur qu’il a été. Le caractère d’un compétiteur. L’envergure et la dimension d’un politicien de taille. Qui a compté durant les 24 ans de politique à tous les échelons du pays. Qui comptera dans sa fonction de président de la SSR en tant que chef de l’unité confédérale. 

C'est tout sautillant qu'il a donné sa dernière conférence de presse lundi matin dans sa commune de Salquenen. Plein de l’émotion et de la passion qui l’ont habité durant douze ans, mais qu’il n’a jamais vraiment partagées durant tout ce temps, enfermé dans une hermétique discrétion.

Lundi, il a pourtant ouvert le livre des souvenirs. Est remonté douze ans plus tôt. Trois législatures de ministre qui ont fait suite à toute autant d’années occupées à d’autres mandats électifs. « Je quitte cette fonction avec le sourire. Sans être ni frustré, ni usé », a-t-il déclaré.

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Faiseur de loi et de rois

Président de commune, député au Grand Conseil, conseiller national, chef du groupe PDC à Berne, proche des conseillers fédéraux, coutumier des cercles de pouvoir et stratège des milieux de l’intrigue fédérale. C’est Jean-Michel Cina qui faisait la loi dans le centre de l’hémicycle à Berne. C’est lui qui faisait les rois aussi, en attendant peut-être de le devenir, son nom ayant été très longtemps, très fréquemment et très sérieusement cité pour briguer un siège de conseiller fédéral.

Mais l’avocat de formation supporte la concurrence comme la comparaison. C’est son frère qui a percé au football. C’est Joseph Deiss qui est devenu conseiller fédéral en 1999, au détriment de Ruth Metzler et grâce au travail de coulisses du Valaisan.

Lorsque Jean-Michel Cina est élu au gouvernement valaisan en 2005, le conseiller fédéral Joseph Deiss est de la fête. Il faut dire que le Valaisan qui tirait les ficelles du groupe PDC à Berne était pour beaucoup dans l'élection du Fribourgeois. SACHA BITTEL

Celui à qui l’on avait alors collé l’étiquette « lady killer » rentre en Valais en 2005 pour briguer le gouvernement cantonal. Il emporte confortablement la mise, tout gonflé d’ambitions pour le canton et empli de certitudes sur la meilleure façon de les mettre en œuvre.

Ça passe. Quatre ans, le poing levé, la route dégagée. Il peut beaucoup. Rêve de mieux et de différent pour les institutions et l’avenir valaisans. « Mon leitmotiv a toujours été de travailler pour un canton plus ouvert et plus moderne. Pour un canton dans lequel la première question que l’on poserait aux autres, n’est pas t’es le fils à qui et t’as où les vignes. Mais je crois que j’ai voulu aller trop vite. », confie aujourd’hui le ministre qui s’en va.

Camouflet devant le peuple

Après quatre ans en pente douce, en 2009, il arrache l’énergie pour grossir encore un peu plus son terrain d’action, déjà vaste avec l’économie et l’environnement. Le dicastère de cet éléphant de la politique devient mammouth. Mais quelques mois seulement après le début de cette deuxième période, les visions de Jean-Michel Cina se heurtent au réalisme de la politique cantonale. Pas trop. Pas trop vite. Pas trop à la fois.

Sa loi sur le tourisme ne passe pas. Vraiment pas. « Il a alors compris que les intérêts divergents ne se retrouvent jamais sous un même toit en Valais. Il a dû changer sa vision de la politique, sa méthode. En Valais tu ne peux pas faire tout et tout de suite. Tu dois avancer en faisant des petits pas » commente Beat Rieder, conseiller aux Etat PDC.

« On m’a dit que je voulais être un nouveau Maurice Troillet, mais que lui avait 40 ans quand il voulait tout bouleverser », se souvient Jean-Michel Cina qui concède le coup de frein.

Jean-Michel Cina, ici avec Jean-Marie Fournier, s'est heurté à certains professionnels du tourisme lorsqu'il a concocté sa loi qui visait à prioriser certaines destinations. C'était en 2009. Peu avant, il avait déjà froissé les mêmes sensibilités en décrétant un moratoire sur les résidences secondaires. FRANCOIS MAMIN

Le monde politique le dit fini après un non cinglant de 76% des Valaisans à son projet censé dynamiser la branche touristique en priorisant les destinations. La campagne déborde et ses opposants, Jean-Marie Fournier et le député PDC Gabriel Luisier laissent entendre que les petits mayens pourraient aussi être taxés. C'est faux. Mais après l'échec, on prédit à Jean-Michel Cina qu’il n’aura plus jamais le vent dans le dos et une deuxième législature à contre-courant.

Le PDC des vallées veut sa peau. Après tout, c’est le Haut-Valaisan qui a déjà décrété quelque mois avant ce scrutin populaire, un moratoire pour limiter les ventes d’immeubles aux étrangers dans sept grandes communes touristiques. Mais contre toute attente et sans opération de charme particulière, il rebondit.

Changement de méthode

Il est réelu trois ans plus tard et même très bien réelu dans les communes qui se sont autrefois senties attaquées. Premier à Bagnes. Premier à Nendaz. Premier à Veysonnaz. « Les gens ont fait la part des choses et ont compris la différence entre une décision sur un dossier particulier et une manière générale de faire de la politique » analyse Joachim Rausis, chef du groupe du PDC du bas. « Il a toujours eu une dimension de visionnaire et jamais on n’a pu le soupçonner d’une quelconque duplicité ou de travailler pour des intérêts particuliers ou les copains ».

Indépendant, juste. Il n’a pas suffisamment tendu l’oreille quand il a tiré les lignes directrices de la loi sur le tourisme. Après cela, Jean-Michel Cina se rendra disponible pour entendre, comprendre. Il réduit la voilure tout en gardant l’envergure. Par peur du trop, il se cantonne au suffisant.

Du coup, les lois qui sortiront de son département seront très mesurées. Trop raisonnables. Pas assez ambitieuses, disent ceux qui lui cherchent des défauts, à l’heure du bilan. « Même mon parti m’a parfois reproché de traîner sur des dossiers, par exemple sur l’hydroéléctricité. Mais c’était justement parce que j’avais tiré les leçons de la loi sur le tourisme. Je voulais d’abord créer le consensus avant de venir avec un projet », explique le chef sur le départ.

Les Valaisans ne veulent pas de mode d’emploi, alors il leur offre des boîtes à outils dans laquelle chaque partie, chaque commune, chaque communauté d’intérêts piochent pour bricoler ses solutions.

Jean-Miche Cina ne sera plus conseiller d'Etat à l'heure où le peuple tranchera sur la LAT cantonale, le 21 mai prochain. C'est pourtant lui qui a ficelé ce projet qu'il avait anticipé depuis des années. Avant même que Berne ne vienne jouer les policiers. SACHA BITTEL

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Jean-Michel Cina doit aussi beaucoup appliquer. Les lois fédérales qu’il faut décliner au canton. Lex Weber, LAT, stratégie énergétique. Il faut faire passer la pilule, arranger les pots, convaincre que si on n’a pas envie, on n’a pas le choix non plus. Il applique, même si lui avait anticipé. «Je pense qu’aucun autre conseiller d’Etat n’a travaillé autant sur l’aménagement du territoire », dit le sortant. Bien avant que Berne vienne jouer les gendarmes, lui avait commencé à donner des coups de siffler avec le fameux moratoire et les ébauches de plan directeur cantonal.

Un conseiller d'Etat hors frontières aussi

Petit à petit, le temps lui donne raison. L’expérience confédérale de ce parfait bilingue aide à arrondir les angles. Jean-Michel Cina reste pour beaucoup le premier conseiller d’Etat qui a ouvert le Valais sur le reste du pays. Ses trois législatures correspondent au moment où les conférences inter cantonales commencent à jouer un rôle sur le plan fédéral.

Il aime ces séances très politiques et prospectives. Il se retrouve stratège, influent. Libre. Il sait faire alors fait partie de ceux qui comptent parmi ses pairs. Auprès des conseillers fédéraux aussi. Respecté, reconnu, connu partout. Il finira d’ailleurs par diriger la Conférence des gouvernements cantonaux.

Le conseiller d’Etat vaudois Pascal Broulis qui l’a beaucoup fréquenté dans ces instances en gardera le souvenir d’un homme compétent et disponible. « Un partenaire avec qui nous avons trouvé des solutions. Sur la question européenne par exemple où nous sommes parvenus à faire entendre la voix des cantons ou sur d’autres dossiers financiers ou fiscaux où nous avons empoigné le téléphone pour faire changer la tendance et trouver des compromis et des majorités », se souvient le ministre PLR, qui ajoute. « Jean-Michel Cina est de plus quelqu’un de très agréable, très jovial. Disons que je n’appréhendais pas de devoir passer du temps avec lui ».

L'ouverture de l'antenne de l'EPFL à Sion portera sans doute à jamais la patte Cina, ici avec le président de l'EPFL, Patrick Aebischer. SABINE PAPILLOUD

Ses réseaux et les kilomètres de câble qu’il a déroulé en deux décennies sont, pour ses plus fervents partisans, à l’origine de la venue de l’EPFL en Valais. La marque qui restera. L’enseigne qui fera peut-être qu’on se rappellera longtemps de l’ère Cina. D’autres disent que c’est le fait d’autres ou pas que de lui.

Reste que même s’il ne devait pas être l’unique géniteur du projet, il était là à sa naissance et a accompagné le bébé dans ses premiers pas, allant jusqu’à s’attribuer la conduite du dossier au détriment du ministre de l’Education, Oskar Freysinger.

Sa stratégie pour les forces hydrauliques valaisannes passera à l'unanimité devant le Grand Conseil. "Un exploit" que lui reconnaissent même ses adversaires. SABINE PAPILLOUD

Des louanges de la part de ses adversaires

Après douze ans, Jean-Michel Cina fait le plein de louanges, même là où ce ne devrait pas être la règle. « C’est un des rares politiciens valaisans qui a su s’extraire du costume partisan pour rallier au-delà sur ses projets. Je crois que c’est un exemple à suivre pour le nouveau gouvernement. Il a montré la voie. », s’enthousiasme la présidente du PSVr Barbara Lanthemann.

Même respect du côté du l’UDC. Aujourd’hui comptant parmi les principaux adversaires de la LAT cantonale, Grégory Logean ne peut pas faire autrement que de reconnaître les qualités du ministre. «Etre parvenu à obtenir une telle unanimité sur la loi sur le retour des concessions était quelque chose d’inimaginable. Il est malin et rusé».

Le chef du groupe UDC au Grand Conseil et moins dithyrambique sur le dossier de l’aménagement du territoire. « Je regrette qu’il se soit empressé de boucler ce dossier avant de partir alors que nous avions davantage de temps. Alors qu’aucune sanction ne serait intervenue avant mai 2019 ».

A l'étroit dans le costume de ministre cantonal

N’empêche, pour nombre de députés de tous bords, Jean-Michel Cina aura incontestablement eu les épaules d’un conseiller d’Etat et avec le charisme et les compétences qui vont avec. L’impression générale est pimpante, même si les projets qu’il a conçus sont moins spectaculaires. A à l’heure du bilan, Jean-Michel Cina a ainsi décrit sa politique : «je crois avoir surtout mis en place des fondamentaux. C’est désormais au terrain de porter et de développer ces projets. J’espère que tous, sauront les concrétiser ».

Le Haut-Valaisan s’est peut-être senti un peu à l’étroit dans son costume de conseiller d’Etat. Coincé par la topographie comme par les institutions et par les hommes, il a adapté sa manière d’habiter la fonction à l’espace disponible. « Il s’est heurté aux dernières influences d’anciens réseaux » résume le conseiller national PDC Yannick Buttet.

Gérald Dayer, chef du service de l’agriculture qui est le seul à avoir épaulé Jean-Michel Cina durant ses douze ans de mandat abonde dans le sens de l’exception Cina. «Il a réussi le tour de force d’avoir marier éthique et politique. Il n’a jamais trahi ses valeurs tout en osant prendre des décisions courageuses et en respectant tout le monde ».

Retour sur la scène fédérale

En tant que président de la SSR, Jean-Michel Cina s’apprête à retourner dans la sphère fédérale. Celle où il a de la place. Sa place. Celle où l’ambition ne se heurte pas au « on a toujours fait comme ça ». Où les visions peuvent dépasser la hauteur d’hommes, le poids des intétrêts écnomiques ou la profondeur des vallées. Où les grands, les baraqués, les hommes forts peuvent un peu mieux respirer. Un peu plus réaliser. Et toujours rassembler.

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