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Châteaux-d'Oex (VD): ils chassent les indices laissés par les séismes

Géologues ou géographes, ils vouent une passion aux tremblements de terre en recherchant les indices sur le terrain au terme d'heures de route et de randonnées. Leur récompense: un bloc détaché ou un petit glissement de terrain au terme d'une enquête minutieuse.

22 août 2017, 16:39
/ Màj. le 24 août 2017 à 06:38
Le géographe Robert Moutard de l'université de Lyon III et la géologue Agnès Prud'Homme de l'université de Lille en pleine recherche d'indices.

On connaît les chasseurs d’orages ou de tornades. Des fous qui, au péril de leurs vies, s’approchent au plus près de ces événements climatiques extrêmes. On connait moins les chasseurs de failles. Des gens tout aussi passionnés mais plus discrets. Des scientifiques aux compétences pointues qui recherchent les indices laissés sur le terrain par les tremblements de terre.

«Le Nouvelliste » les a suivis durant une longue journée, sur de fortes pentes, à la recherche de potentiels stigmates dus au séisme qui a secoué la région de Château d’Oex le 1er juillet dernier. Une secousse de magnitude 4,3 ressentie dans une grande partie de la Suisse romande. 

>>A lire aussi: "Ces secousses donnent du temps avant le Big One"
 

Pourquoi la région de Château d’Oex

Lundi matin, Montbovon. Deux équipes de scientifiques venant du Valais et de Chamonix se donnent rendez-vous au cœur du Parc naturel régional de Gruyère/Pays d’en Haut, à la frontière entre Fribourg et Vaud. L’événement sismique du début juillet a provoqué 87 répliques en une journée et 280 durant le seul mois de juillet dans le secteur de Château d’Oex.

Il n’en fallait pas davantage pour qu’Henri Rougier, expert international en matière alpine, constitue un groupe de travail sur la question. «Avec de telles récurrences – parmi les plus denses au monde – quelque chose se passe, peut-être en grande profondeur», explique le professeur émérite en géographie physique de l’Université de Lyon III. Un réseau de failles traverse la région dans un axe nord est/sud ouest qui s’étend des Préalpes fribourgeoises à Chamonix en passant par le Bas-Valais. «Les Alpes sont un massif très jeune à l’échelle géologique. On assiste vraisemblablement à une crise de croissance dans cette zone de grande fragilité.»

 

Le séisme du 1er juillet et ses nombreuses répliques. © DR

 

Les scientifiques demandent des renseignements aux gens travaillant sur l'alpe. © CHRISTIAN HOFMANN


Les indices sont plutôt maigres…

Les directives données par Henri Rougier, la petite équipe entame ses recherches, direction l’alpage du Gros Linsert, à un peu plus de 1700 mètres d’altitude, au pied de la Pointe de Cray. L’expert est accompagné de Brigitte Coque, professeur émérite de géographie physique à l’université Paris VII, Agnès Prud’Homme, géologue et professeur agrégée à l’université de Lille et Robert Moutard, docteur en géographie à l’université de Lyon III. L’alpage, lové au cœur d’un cirque glaciaire, constitue un bon point d’observation de base.

Arrivés sur place, ils scrutent aux jumelles les pentes abruptes durant de longues minutes. Mais aucun indice probant ne fait grimper le taux d’adrénaline des scientifiques. «Nous recherchons des éboulis récemment brassés, des cassures fraîches ou des glissements de terrain», détaille Robert Moutard. Les indices sont plutôt maigres… Cartes à l’appui, les randonneurs doivent se résoudre à arpenter le terrain dont la déclivité dépasse parfois les 40 degrés en se basant sur des données topographiques connues.

 

Les scientifiques montent vers l'épicentre situé dans une pente abrupte au-dessus de l'alpage du Gros Linsert. © CHRISTIAN HOFMANN

 

L’épicentre révèle enfin un stigmate

Un groupe part néanmoins sur un objectif très précis: la recherche de l’épicentre, ce point de surface perpendiculaire à l’hypocentre, lieu de la secousse à quelque quatre kilomètres de profondeur. Grâce aux données du Service sismologique suisse, Henri Rougier et son équipe parviennent à localiser très précisément le lieu, en pleine pente, à deux cents mètres de la ligne de crête. A distance, rien à signaler si ce n’est de petits glissements de terrains.

Mais comment savoir s’ils sont consécutifs au séisme? «S’ils se délimitent en bourrelets, il s’agit de solifluxion. Si la cassure est nette, on est sur du sismique», résume Henri Rougier. Le jargon scientifique n’est jamais loin. La passion non plus. Une équipe se rend sur place. Une analyse plus approfondie révèle que la secousse est très vraisemblablement à l’origine du glissement de ces portions de terrain. Première grande satisfaction pour le groupe. «Nous pouvions ne rien trouver du tout aujourd’hui!», se réjouit Brigitte Coque. 

 

Le point précis de l'épicentre. © CHRISTIAN HOFMANN

 

De petits glissements de terrains, aux cassures franches, sont vraisemblablement issus du séisme. © CHRISTIAN HOFMANN

 

Les parois rocheuses livrent quelques secrets

L’enthousiasme grimpe au fur et à mesure que la déclivité du terrain s’accroit. Agnès Prud’Homme et Robert Moutard arrivent au pied d’un escarpement rocheux. Ils observent des taches claires sur la paroi. «Le changement de couleur indique un détachement récent de blocs de pierres qu’il s’agit de confirmer», avance prudemment Agnès Prud’Homme.

Parce que déterminer avec exactitude ce qui ressort du séisme ou d’autres aléas comme l’érosion confine à l’art dans cet environnement où domine une médiane plastique. Entendez par là que «contrairement à Chamonix où  des stries sont faciles à observer entre roches qui ont coulissé suite au tremblement de terre de janvier, le séisme de Château d’Oex intervient dans une zone plus molle», vulgarise Daniel Masotti, très éclairé en géologie. Les observations sont ainsi documentées et photographiées. Puis retour au Gros Linsert avant de gagner l’alpage Le Lity pour une pause méritée en milieu d’après-midi. 

 

La géologue Agnès Prud'Homme de l'université de Lille et le géographe Robert Moutard de l'université de Lyon III trouvent des blocs fraîchement détachés de l'escarpement rocheux. © CHRISTIAN HOFMANN

 

Le témoignage et le fossile, preuves ultimes

Arrivés au cœur de la production de Gruyère d’alpage, deux «surprises» attendent les chercheurs. L’aide-fromager, le bien nommé Jacques Balancier, a fortement ressenti la secousse du 1er juillet. Interrogé par les scientifiques, il donne cette comparaison: «le bruit ressemblait à un gros tas de bois qui serait tombé d’un coup à l’étage supérieur».

Alors que les scientifiques se perdent en conjecture sur le témoignage et en compliments sur la crème double servie, le propriétaire de l’alpage, Philippe Dupasquier déboule dans la pièce, gros caillou à la main. «Et cette pierre, elle a quel âge?»

Médusés dans un premier temps mais très vite enthousiastes, les géologues observent, loupe à la main, un calcaire incrusté de plusieurs ammonites fossilisées. Magnifique.

Et la réponse intervient après quelques instants de discussions: «ce rocher a un peu plus de 200 millions d’années». Une date à la mesure de leur travail qui clôt une journée fructueuse. «On voit combien le terrain est l’alpha et l’oméga de toute recherche», conclut Henri Rougier.

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